24/05/2017
KR'TNT ! ¤ 330 : THEE OH SEES / T-SHIRT / POGO CAR CRASH CONTROL / SCORES / '77 / NEW ROSES / HOWLIN' JAWS / AUSTIN OSMAN SPARE
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 330
A ROCKLIT PRODUCTION
25 / 05 / 2017
THEE OH SEES / T-SHIRT POGO CAR CRASH CONTROL SCORES / SEVENTY SEVEN / NEW ROSES HOWLIN' JAWS / AUSTIN OSMAN SPARE |
TEXTES + PHOTOS SUR
http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/
I can see Thee Oh Sees (for miles and miles)
Sur scène, Zi Oh Sees développent une telle énergie qu’on pense aux Who. Tous ceux qui ont vu les Who sur scène le savent : aucune équivalence dans l’histoire du rock, aux plans présence et niveau sonore. Pas même Motörhead. Avec sa nouvelle formule de powerhouse à deux batteurs, John Dwyer renoue avec la démesure du Baba O’Rhum cataclysmique qui nous avait explosé les tympans à la fête de l’Huma en 1972.
Tiens, encore un point commun avec les Who : John Dwyer joue sur une bête à cornes, comme Pete Townshend, sauf que la sienne est transparente. Et comme Pete Townshend, John Dwyer multiplie sur scène ce que les Anglais appellent the antics. Dwyer ne saute pas en moulinant comme Townshend, mais il exécute des pas de danse abyssiniens, ceux du Nijinski de l’Après-Midi d’Un Faune, très graphiques et joliment dingoïdes, pour bien ponctuer l’envoi des violentes rafales de chaos sonique. Il va très loin, bien au-delà du spectaculaire. Comme les Who, il échappe à tous les formats, parce qu’il a su bâtir un monde à son image, celle d’un blaster quasi-incontrôlable.
Tous ceux qui ont vu les Dirtbombs et les Monsters le savent : sur scène, la double batterie démultiplie l’impact du groupe. Mais on a l’impression que les mighty Oh Sees atteignent un niveau encore supérieur de démesure, car rien de ce qu’ils jouent n’est prévisible. Leurs albums produisent exactement le même effet. Ils sont à la fois tellement libres et tellement puissants qu’ils échappent à toutes les conjectures, et sur scène, l’imprévisibilité des choses fait tout le charme du groupe. Ça veut dire en clair que John Dwyer nous emmène exactement là où il veut. Il manie une sorte de chaméléonisme impénitent qui lui permet de créer la surprise en permanence. D’où l’I can see for miles and miles and miles and miles, d’où cette facilité psychédélique à pulvériser les attentes, d’où cet immoralisme sonique qui se moque des lois de la République, d’où cette volcanisation des thèmes que les instituts de recherche ne parviennent toujours pas à interpréter, d’où cette exubérance intempestive qui ridiculise les tempêtes du Cap Horn, d’où cette manie des irruptions insoupçonnables qu’on accueille à bras ouverts, d’où cette facilité dégueulasse à réinventer le rock, et même pire, à rocker la ré-invention. John Dwyer est un homme à mille facettes. On imagine aisément que les êtres qu’on déifiait dans l’antiquité devaient lui ressembler. Il s’impose par une sorte de charisme à la fois bon enfant et mèche dans l’œil, mais une sorte de rigueur monastique semble charpenter le personnage. Il est bien évident que l’infernale qualité de son jeu de guitare ne sort pas de la cuisse de Jupiter. Il joue exactement ce qu’il faut jouer, sans en rajouter. John Dwyer n’est pas l’un de ces Raymond la science qui s’affichent en couverture des magazines de rock qui ont depuis longtemps sombré dans la vulgarité. Tout le contraire. Il arrive sur scène comme s’il revenait de la plage, après une partie de surf à Malibu. Chez lui, pas la moindre trace de rock-starisation. Juste un homme en bermuda avec sa guitare, des idées et trois bons amis (extrêmement brillants, et qui eux non plus ne la ramènent pas).
Justement, on regarde jouer ces deux batteurs et on régale de leur spectacle, de la grâce de leur jeu et de la combinaison de leurs puissances de frappe respectives. Ils jouent tout en parfaite synchronicité, c’est un effarant ballet qui provoque par moments des hallucinations. Ces deux mecs sont beaux comme des apôtres, et de là à voir un Christ en John Dwyer, c’est un pas qu’on franchit avec allégresse dans le feu de l’action. Quand je dis : ces mecs sont beaux, cela veut dire beaux au sens iconique, car les inclinations des visages, le ruissellement des sueurs, les expressions de béatitude, tout cela nous renvoie aux portraits d’apôtres signés par les peintres de la Renaissance italienne. Ces deux batteurs développent une sorte du mysticisme du beat et ne s’accordent aucun repos. John Dwyer veille à ce que leurs batteries soient installées au premier rang. Dès lors, Paul Quattrone et Daniel Rincone jouent à jeu égal avec les deux autres.
Puisqu’on est dans les parallèles, quelque chose chez John Dwyer rappelle Kim Fowley. Sans doute par le dessin très carré du visage, par la carrure, par le fait qu’il soit lui aussi californien, mais surtout par l’ampleur de sa personnalité. Il y a autant de génie chez John Dwyer qu’il y en avait chez Kim Fowley. Ils mettent tous les deux leurs vies et leurs intelligences respectives au service d’une seule forme d’art : le rock. Et on réalise un peu plus facilement que pour parvenir à ce niveau, il faut ce qu’il est convenu d’appeler une prédisposition. Devenir Kim Fowley ou John Dwyer n’est tout simplement pas à la portée de tout le monde. Le rock est un art suprêmement difficile, ne l’oublions pas.
Les débuts du groupe n’auguraient pourtant rien de bon. Essayez d’écouter l’album Sucks Blood paru en 2007 jusqu’au bout, vous verrez, ce n’est pas facile. On trouvait alors ces albums dans le bac garage du Born Bad de la rue Keller et les pochettes piquaient la curiosité.
Une sorte de vampire à six dents ornait la pochette de The Master’s Bedroom Is Worth Spending A Night In paru l’année suivante et on y voyait se développer une tendance intéressante, une façon de penser le rock autrement. En entrant dans cet univers musical, il fallait abandonner tout espoir de rationalité. Sur ce disque, tout n’était que luxe arty, calme incongru et volupté désordonnée. Quand on écoutait un cut comme «Grease 2», on se demandait vraiment pourquoi on écoutait ça. On se demandait aussi à quoi pouvait servir ce groupe inclassable. On les voyait explorer toutes les figures de style inimaginables. En fait, ils nous aidaient à sortir du carcan garage qui finit par appauvrir le rock pour le transformer en peau de chagrin. Avec cet album, Zi Oh Sees se comportaient comme d’impavides stylistes soucieux de diversité. On trouvait en B un commencement de début de hit avec «Adult Acid», un hit de pop rocké du ciboulot. Avec «The Coconut», ils passaient au heavy rock en développant dans les textes une bien belle tendance surréaliste et le «Maria Stacks» d’après finissait par captiver grâce à son Maria Maria you dig a hole with words in there. John Dwyer achevait sa B en beauté avec un «Poison Finger» bien vu, puisque monté sur le riff de «Gimme Some Loving», suivi d’un «You Will See This Dog» gorgé d’I want my fun to be free and out of sight. On ne pouvait qu’admirer la diversité de leurs paysages musicaux. C’est là que John Dwyer commença à façonner le monde à son image de tatouage de main percée et de marcel rayé.
Un jour, on vit une chauve-souris clouée sur la pochette d’un album. Il s’agissait du fameux Help paru un an plus tard sur In The Red qui était alors LE label de référence, comme l’avait été Crypt auparavant. Dès «Ennemy Destruct» on savait à quoi s’en tenir : John Dwyer cherchait à créer l’événement. Il agissait ni plus ni moins comme un bâtisseur d’empire libre, vous savez, ces empires qu’on bâtit pour jouer, un empire d’Everybody dig in everybody clam up et le mythe du monde libre remontait à la surface, sous la forme d’une nouvelle vision du rock, loin du m’as-tu-vu des solistes grimaceurs et des Stong à la mormoille. John Dwyer donnait le champ libre à sa liberté. On entrait alors dans le tourbillon magique de «Ruby Go Home», John y répétait en boucle son Hey tambourine what that you’re saying d’argent gris joué sur un mood de groove garage assez convaincu de sa légitimité. S’ensuivait une belle gerbe d’espoir nouveau avec «Meat Step Lively» gratté à l’insistance typique. Aussitôt après, avec «A Flag In The Court», il réinventait cette belle ferveur surréaliste qui pour son malheur tomba un jour sous la coupe du dictateur Alfred Breton. John Dwyer racontait n’importe quoi, usant de la liberté comme d’un prétexte à toute forme d’expansion du domaine de la lutte. Et la B s’ouvrait comme un horizon, avec «Rainbow», joli coup de mood garage on the move avec les ba ba ba des Troggs dans un refrain scintillant d’arpèges de SG. S’ensuivait un «Go Meet The Seed» solide et terriblement bien intentionné, avec du I wanna hang way up in a tree arrosé de chœurs des Who, et toujours cette manie simplificatrice de répéter en boucle d’argent gris le même couplet en forme d’objet-prétexte. Avec «Soda St#1», il exacerbait encore plus les choses, on avait là un cut élancé, gratté, chant, œuvré, véritablement inspiré par les trous de nez, une sorte de power-pop luminescente. Attention, le festin continuait avec «Destroyed Fortress Reapers», fantastique progéniture picabiesque d’un rainbow qui n’avait pas le droit de dire non, puis tout s’arrêtait brutalement avec «Peanut Butter Oven». On avait là dans les pattes un disque qui sortait de l’ordinaire, un véritable festin d’idées, une gerbe d’éclats protéiformes, on avait la preuve qu’il existait encore un espace pour le libertarisme dadaïsant et tombouctique. Alors, amis des bêtes et de Tzara, du lama rouge et d’Ornicar, jetez-vous sur ce miroir aux alouettes.
John Dwyer confirmait sa pente Dada avec Dog Poison paru la même année. Comme notre homme devenait prolifique, il valait mieux avoir un portefeuille bien garni. Il attaquait avec un «The River Rushes» bien alambiqué et comme toujours sans aucune prétention. Il se payait même de luxe de balancer un solo de flûte complètement délabré. Notons qu’il jouait au seulâbre invétéré sur cet album un peu plus austère que le précédent. Il récompensait la fidélité de ses admirateurs avec «The Fizz», une pop sautillée qui non seulement puait la fuzz, qui avait en plus trouvé l’adresse et qui fell face first at the front door. Cette façon baroque d’amener les choses rappelait bien sûr celle des Holy Moundal Rounders. Avec «Sugar Boat», il fonçait droit sur le ludique barrettien. Mais le Dada se nichait en B avec notamment «I Can’t Pay You To Disappear», un solide romp de pop de so you can do it for free. On ne pouvait pas imaginer plus Dada dans l’esprit. Même chose avec «Voice In The Mirror», pur slab de Dada strut. John stroumphait son Dada stack avec la pire des impénitences ce qui nous permettait d’affirmer à l’époque qu’impénitence et impétuosité constituaient les deux mamelles de John Dwyer. Il enchaînait ce tour de force avec «Dead Energy» joué au processionnaire des fourmis rouges un jour de deuil national. Ça tintinnabulait sous le soleil de Satan.
La pochette abstraite de Warm Slime interloquait. On entrait dans ce monde délicieusement hirsute et créatif par la grande porte, c’est-à-dire le morceau titre, sur une face entière. On entendant la délicieuse Brigid chanter au fond d’un cut qui virait en jam de gym nasty, véritable pied de nez à l’ampoulé du prog. John Dwyer révélait là une passion pour Can, traversant avec nous des paysages chantants et variés. Il jouait littéralement la carte de la face, grâce à un hypno de fête à nœud-nœud, où l’on pêche le canard pour gagner un pingouin. On tombait ensuite sur le festin pantagruélique de la B et cet «I Was Denied» assez comique d’I flew away with a friend of mine et d’I got fucked up suffice to say joué à la ritournelle insistante bien vue, oh see bien vue. Encore plus dingue, cet «Everything Went Black» parfaitement décousu, d’un baroque sans queue ni tête, véritable stomp capable d’envoûter une légion romaine, suivi d’un «Castiatic Tackle» joué au pire strut de garage qui fut - What did she ask ?/ Are we good ?/ Yeah I think - Extrêmement solide et parfaitement cognitif au plan textuel. Il bouclait cet album effarant avec «Mega-Feast», véritable coup d’exacerbation trapézoïdale, et «MT Work», joué à la pure énergie créative. Ce groupe fonctionnait alors comme un geyser galactique.
On trouvait un redoutable écorché sur la pochette du Carrion Crawler/ The Dream EP paru en 2011. C’était encore une fois foutu d’avance, on sentait dès le morceau titre d’ouverture que l’album allait nous emporter la bouche. Il attaquait ça à la dégringolade d’eat meat/ Fill with holes. Il jouait ça avec un pugnacité illicite qui favorisait l’apparition d’hallucinations. En écoutant «Contraception/Soul Desert», John Dwyer établissait en peu plus clairement sa réputation de créatif illimité. Il emmenait son cut ventre à terre, à la petite exacerbation cadencée, the jewel of a song. Avec un tel homme, on se sentait vraiment en sécurité. En fait, il reprenait le «Soul Desert» de Malcolm Mooney, l’un des chanteurs de Can. Mais il pouvait aussi se faire presque passer pour la réincarnation de Picabia et piloter une Delage coiffé d’un bonnet de cuir. On avait aussi un instro cinglant nommé «Chem-Farmer» et en écoutant cette merveille on savait John parfaitement incapable de décevoir les thuriféraires. Zi Oh Sees redoublaient d’une pratique abusive de la liberté à tout crin. Et la dynamique reprenait de plus belle avec un «Opposition» monté sur un beat de pétarade pète-sec et un clair de son qui permettait de distinguer ces deux choses différentes que sont les cartilages du concept et l’élancé d’une démarche d’accompagnement cérébral. Ah mais le pire était à venir, car en B se nichait «The Dream», doté d’une fabuleuse vélocité de team intime. Ces gens-là savaient compulser dans le même sens et se passionner comme des vierges rouges pour mieux embrasser l’univers. Une fois de plus, ils tapaient dans l’essence de Can, à la bonne franquette hypno. Ils retrouvaient ce sens du panache d’effluve mythique et de plumes d’autruche, on sentait battre le pouls d’une machine de mouvement perpétuel, une véritable tinguelynade d’eau fraîche et d’amour de Sainte-Phalle. On tombait plus loin sur un nouveau trésor ali-babique intitulé «Crushed Grass», joué à la cocotte véloce d’under car et de moon beam, très proche du «Locomotive Breath» de Jethro Tull. Ils y rebattaient les cartes d’une belote de belettes. Une fois de plus, on avait dans les pattes un album créativement rempli jusqu’à la gueule, ce qui devient aussi rare qu’un cheveu sur la tête à Mathieu. Ça repartait de plus belle avec «Crack In Your Eye», extraordinaire fragrance d’univers intermédiaire et constamment visité par des idées de rafles riffales, de grattés dauphinois ou encore d’espolettes pimentées. En prime, John Dwyer s’amusait à screamer ici et là, histoire de nous rappeler la fortitude de son émancipation. On retrouvait dans «Heavy Doctor» les accords que joue Robert Quine dans l’intro de «Blank Generation». Il s’amusait à virevolter dans les trapèzes d’un Barnum post-punk et il ah-ahtait sur des descentes de gamme fuligineuses - It’s just a breeze upon a blood-rich sea - Encore un album dont on sortait à quatre pattes.
Une horrible main décrochait un téléphone sur la pochette de Castlemania, un double album qui se jouait en 45 tours. John Dwyer embarquait l’«I Need Seed» au beat pop mod d’I need to throw up the grass. Son beat sautillait dans la prairie, et un vent de liberté soufflait sur le pays. Une fois de plus, il défiait toutes les lois de la physique et ne respectait rien, pas même le vieux principe de gravitation universelle si cher à Newton. Avec «Corprohangist», John Dwyer cherchait un fouet pour se faire battre et traitait sa chanson de tous les noms - Oh yeah this song is sung/ This song is shit - Il sortait la meilleure fuzz de son chapeau de magicien pour un «A Wall A Century» heavy et solidement dérangé, comme ébahi à Tahiti. Il nous faisait le coup de la B qui tue avec une série invraisemblable de smash-cuts, à commencer par un «Spider Cider» joué au prog protubérant, juste pour exprimer ce qu’est le blaze, suivi de «The Whipping Continues», petite heavyness plombée au LSD et relativement pompeuse, au sens de l’Oracle des Zombies de Delphe. Ah, mais il n’allait pas s’arrêter en si bon chemin car voilà qu’arrivait «Blood On The Dock» une pop de pirates, avec un dark ship foating after me, oh no no no et il poussait le bouchon encore plus loin en passant un solo oriental de Mahabarata digne du Barabajagal, ce qui semblait logique vu qu’on retrouvait Donovan dans l’histoire. Il lançait «A Warm Breeze» à coups d’harmo sixties et recréait l’illusion d’une incommensurable diversité des genres, un peu comme si son éventail s’étendait à l’infini, telle l’une de ces japoniaiseries chères à Stéphane Mallarmé qui, souvenez-vous, fut le pape de la rue de Rome.
L’homme à tête de chien qu’on voit dans un cercueil au dos de Putrifiers II EP n’est autre que John Dwyer. Putrifiers II EP fut aussi le dernier album des Oh Sees paru sur In The Red. Il attaquait «Waw Face» à coup d’Oh wite ! Quel dingue, ce mec ! On le voyait tirer son son avec opiniâtreté et comme il visait la mad psychedelia, il créait les conditions d’une sévère lactose pariétale. Ses cris relevaient de l’organique et on sentait un mouvement indicible, pareil à celui d’une armée en marche dans un univers en ordre, une troupe compacte et bien gardée sur ses flancs. Il passait à la pop tétanique, et même très tétanique, avec «Hang A Picture». Cet homme n’en finissait plus de se vouloir complet, il tâtait de tous les genres avec un égal bonheur et dressait une nouvelle typologie du rock, d’une manière qu’il voulait exhaustive, sachant bien que l’exhaustivité ne compte pas dans l’absolu de la relativité. Il revenait à un format plus garage avec un «Flood’s New Light» bien martelé et chanté à l’ersatz de voix. En B, il nous régalait de «Lupine Dominus», une pop joliment enveloppée, montée sur un thème de guitare bien gras qui pouvait à la limite sonner comme une trompette wha-wha, ce qui ne manquait de nous galvaniser.
Avec Floating Coffin et sa pochette sucrée aux fraises, John Dwyer ouvrait l’ère Castle Face, un label aventureux au logo protéiforme. Il donnait le la avec un coup de grisou garage, «I Come From The Mountain», bien cavalé à travers les hautes plaines. Et toujours ces wow ! suivis de plongées en enfer. Comme dans ses autres chansons, il shootait un couplet en boucle d’argent gris - Girls like to smile half the time/ Boys are the trouble all the time - On avait là un vrai hit sauvage. Il en ramenait un autre à la suite, le fameux «Toe Cutter/Thumb Buster», épais et mélodieux, magnifique d’élévation spirituelle. Il le revisitait au thème gras et altérée. On avait là un cut incroyablement beau et paisible et il n’en finissait plus de relancer son équipage. Il revenait à sa vieille passion pour Can avec «No Spell», hypno à gogo ponctué de wow de la Wells Fargo. Et puis il bouclait l’A avec «Strawberries One & Two», une mélasse lysergique à l’étique raréfiée, mais il n’en cherchait pas moins l’espace du promontoire prométhéen, ainsi que des avances sur recettes. Oh et puis en B, il exultait avec «Maze Pancer» - No brains inside of me ha !/ Nothing inside of me ha ! - Il s’esclaffait alors que son char filait à train d’enfer à travers la morne plaine de Mésopotamie. Son attelage étincelait sous le soleil. Il jouait plus loin un «Sweets Helicopter» en mood de mode Pinder sous la voûte étoilée d’un chapiteau, avec des accords voltigeurs et des animaux en peluche.
Avec Drop, John Dwyer inaugurait la série des pochettes ratées, au nom de la liberté, bien sûr. Il attaquait avec un «Penatrating Eye» joué au heavy bulbique, une histoire d’œil volé. On se retrouvait confronté une fois de plus à la réalité d’un mec comme John Dwyer, incapable de se prendre au sérieux. Il chantait ensuite «Encrypted Bounce» d’une voix d’ange de miséricorde, sur un joli beat de rase motte. Il y avait encore là de quoi nous fasciner jusqu’à l’os du genou. Il s’agissait en effet d’un cut monté à l’idée pure, conçu dans un esprit de maniaquerie invétérée, digne d’une vestale vénale. Et en B ? Eh bien, il s’y passait des choses pour le moins intéressantes, comme ce morceau titre amené en forme de garage pop d’I don’t expect to see you again oh yeah, avec de la fuzz plein la bouche. Il enchaînait ça avec un «Camera» chargé de mad desire, celui de porter les visages des autres hommes. Pas facile. S’il fallait s’appesantir sur un cut, ça ne pouvait être que «Transparent World», joué au groove ambigu de fusion saxée sur une belle bassline de Chris Woodhouse.
Un drôle de monstre armé d’un flingue spongieux orne la pochette de Mutilator Defeated At Last. On était tout de suite frappé de plein fouet par l’énorme «Whitered Hand» qu’il joue encore aujourd’hui sur scène, un hit athlétique et complètement fascinant, sur lequel il bondit de droite et de gauche comme un Nijinski devenu apoplectique. Par contre, «Poor Queen» allait plus sur la pop. Il jouait ça aux accords byzantins de cristal d’apothicaire du Carrefour de Buci, d’autant qu’il s’agissait d’une bonne nouvelle - the queen willl live/ To see another day - Il enchaînait avec un «Turned Out The Light» presque glammy dans l’essence, un cut admirable et juteux comme un fruit trop mur. Et puis il bouclait l’A avec «Lupine Ossuary», un instro joué à la virtuosité paganinique. Franchement, ce mec pouvait tout se permettre, comme le montrait encore «Holy Smoke», un hit de B, une sorte de carpaccio d’arpèges frelatés et servi sur une fine couche d’ambre jaune.
L’an passé sont sortis trois albums des Oh Sees, à commencer par l’un des plus beaux albums live de tous les temps, Live In San Francisco. Ça démarre avec l’effarant «I Come From The Mountain» tiré de Floating Coffin, traité ici en violent mode garage californien, joué à la tonne de son et savamment vrillé de solos. Et c’est là qu’on retrouve la powerhouse des deux batteurs, et croyez-moi, ça change tout. Ils enchaînent avec «The Dream» tiré du Carrion Crawler/ The Dream EP. Derrière John Dwyer, ça bat comme chez les Pink Fairies, ça joue à l’extrême clameur d’Elseneur. Ils embarquent «Tunnel Time» au beat de ventre à terre, au pulsatif compulsif. Tim Hellman gratte du bassmatic à flots continus. Heureusement qu’il joue sur Ricken. Ils attaquent la B avec un «Web» tapé au groove anglican et les Oh Sees suent sur «Man In A Suitcase». Oh les Oh Sees savent ! Ils jouent l’organique à l’état le plus pur. Tiens, revoilà l’excellent «Toe Cutter/Thumb Buster» tiré de Floating Coffin et riffé à la Teddy Bear, mais complètement dérangé au plan sonique. John Dwyer barde son art de son et crée les conditions de l’extravagance. Il ramène le souffle d’un Abel Gance dans le rock moderne. Ils attaquent la C avec l’infernal «Withered Hand» tiré de l’album précédent, véritable blast de powerhouse, une branle se met en branle, alors si ça n’est pas du blast, qu’est-ce donc ? Rien de plus déterminant qu’une powerhouse décidée à en découdre. Avec «Gelatinous Cube», John Dwyer claque ses chœurs et profite de la moindre étincelle de frénésie pour sombrer dans le chaos. Il joue la carte des frénétiques de l’Avant siècle. Ils bouclent en D avec un «Contraption» survolté que vient concasser un chorus spatial et aventureux. John Dwyer a mis au point une formule infaillible. On se régale de cette énorme jam entreprenante. On parle de cette face cachée comme on parlerait de l’œuvre de toute une vie.
Pochette à la Chirico pour A Weird Exits paru la même année, mais un Chirico qui irait mal. Ça commence par une belle énormité, «Dead Man’s Gun» tarabusté vite fait et fracassé par un solo signé Dwyer. C’est joué à l’hypno fatidique et Brigid Dawson vient faire des voix de Bogus Man avec cette bête de John. On trouve en fin d’A un «Jammed Entrance», c’est-à-dire un instro tendancieux. On s’y perd en conjectures, tant l’automatisme prévaut. Picabia aurait adoré cette dynamique interne de piston polyglotte à poil dru. On retrouve l’hypno magique des Oh Sees en B avec un «Plastic Plant» chanté à la voix blanche et ils enchaînent avec le faramineux «Gelatinous Cube» qu’on trouve aussi sur l’album live. John Dwyer file en mode garage punk, avec cette façon exclusive de trousser des petits éclats de solos, pendant que la bassline ondule comme le ventre d’Oum Kalsoum sous le satin des draps du Cheik en blanc.
John Dwyer explique que l’album An Odd Entrances paru lui aussi en 2016 est le petit frère du précédent - An appendix, if you will - On s’y régale d’un «The Poem» joué au bel arpeggio de Giotto. Ce sacré John Dwyer semble même se prélasser dans la coquille de Boticelli. On retrouve son appétence pour la pop en B avec «At The End Of The Stairs». On sent chez lui le pape de plage, le ponte du peuple. La pop n’a plus de secret pour cet homme. Et puis on tombe sur une merveille, «Nervous Tech», joué sur un tapis de brousse de basse, très Can dans l’esprit. John Dwyer continue de repousser les frontières du possible. C’est un acharné de l’acharnement, il veut absolument ne rien devoir à personne. Son instro tentaculaire en laissera plus d’un grosjean comme devant. Ah, il faut avoir écouté ça au moins une fois dans sa vie si on veut mourir moins bête, d’autant que ça s’inspire du «Go Ahead John» de Miles Davis. Pas de meilleure source ici bas.
Alors, au point où on en est, on peut aussi aller fureter dans les compiles des Oh Sees, tiens par exemple le volume 3 des Singles Collections. On y trouve des démos, des inédits et des reprises. Quand on sait de quoi est capable John Dwyer, on ne risque rien. On trouve dans ce volume 3 une fantastique démo de «Crushed Grass» montée sur une bassline brontosaurique, une vraie monstruosité lovecraftienne. John y couine comme l’orfraie d’Alfred de Vigny. Ils font aussi une reprise de «Burning Spear», un cut de Sonic Youth, mais John Dwyer l’allume aux lampions de la folie expressionniste, et ça déferle comme des paquets de mer sur nos hures de pauvres ères. Aucun égard pour la mansuétude ! Avec «What You Need», John Dwyer retourne dans la pampa pousser des woo ! et des yooo ! Il adore ça. En B, on tombe sur le processionnaire «Always Flying», sur un «Devil Again» sautillé comme chez les Vibrators et un fantastique «Block Of Ice» live joué au groove profilé sous le boisseau d’argent. C’est une fois de plus l’épitôme du renlentless, l’apologie du jusqu’au-boutisme de Jean Grosjean comme devant, petit neveu du célèbre bagnard échappé de l’île du Diable à la nage.
Signé : Cazengler, pas Oh See mais Ah See (à table)
Thee Oh Sees. Sucks Blood. Castle Face 2007
Thee Oh Sees. The Master’s Bedroom Is Worth Spending A Night In. Tomlab 2008
Thee Oh Sees. Help. In The Red Recordings 2009
Thee Oh Sees. Dog Poison. Captured Tracks 2009
Thee Oh Sees. Warm Slime. In The Red Recordings 2010
Thee Oh Sees. Carrion Crawler/ The Dream EP. In The Red Recordings 2011
Thee Oh Sees. Castlemania. In The Red Recordings 2011
Thee Oh Sees. Putrifiers II EP. In The Red Recordings 2012
Thee Oh Sees. Floating Coffin. Castle Face 2013
Thee Oh Sees. Drop. Castle Face 2014
Thee Oh Sees. Mutilator Defeated At Last. Castle Face 2014
Thee Oh Sees. Live In San Francisco. Castle Face 2016
Thee Oh Sees. A Weird Exits. Castle Face 2016
Thee Oh Sees. An Odd Entrances. Castle Face 2016
Thee Oh Sees. Singles Collection Volume Three. Castle Face 2013
17 / 05 / 2017 – PARIS
NOUVEAU CASINO
T-SHIRT / POGO CAR CRASH CONTROL
Jamais mis les pieds au Nouveau Casino. A l'ancien non plus. Une appellation qui empeste un peu trop l'hypermarché, mais non, pas d' assimilation hâtive et hasardeuse, une véritable salle de concert au plafond capitonné qui doit pouvoir accueillir près de trois cents personnes. Une programmation longue comme un jour sans rock'n'roll, et la file des fans qui attendent devant la porte. Salut à Marie arrivée la première à dix-huit heures trente tapante dans son T-shirt au logo assassin de Pogo Car Crash Control.
T-SHIRT
Personne ne les connaît. Prétendront que c'est leur premier concert – du moins dans un lieu moins exigu que leur appartement - même si l'on retrouve des traces d'antérieures apparitions dans la mémoire inquisitoriale du Net. De toutes les manières on les sent un peu tendus. Mais l'assistance ne sera pas cruelle. C'est qu'ils vont prendre de l'assurance au fil des morceaux et arriver à établir le contact.
Groupe mixte mais sans parité, une fille deux garçons. Difficile de définir le style, les deux premières entrées en matière, Mide and Hyper, flirtent avec le white rock, guitare filante et rapidité du drummin', mais ces caractéristiques vont s'effilocher au fil des morceaux. Léa se cache derrière ses lunettes et le micro de sa voix exigerait que l'on hausse le ton, la guitare surfe mais deviendra de plus en plus affirmée tout le long du set. Première caractéristique, les fins impromptues qui vous laissent sur votre faim. Les morceaux sont aussi courts que leurs titre : Heaven, Dates,Triton, Razor, Cold, Sloan... Serait-ce l'indication d'une allégeance vertueuse à l'esthétique des Ramones ?
Rien de novateur, T-Shirt joue un rock basique sans surprise mais bien balancé, tout compte fait agréable à écouter. Des murmures d'approbation monteront de la foule au fur et à mesure que Toma appuie de plus en plus sur ses toms et que Luc à la basse double la voix de Léa. A moins que je n'aie inverti les deux prénoms. L'est sûr que l'appétit vient en mangeant et notre trio prend du poil de la bête au fur et à mesure qu'il déroule sa set-list. Z'ont encore le problème de l'ampleur du son à résoudre. Faut lui donner une couleur et une tessiture qui deviennent marque de fabrique à part entière, ce qui est sûr c'est qu'un jour ou l'autre nous repasserons sur notre torse velu le même T-Shirt.
Sortent de scène sous les applaudissements ce qui n'était pas donné de la part d'une assistance venue pour les P3C...
POGO CAR CRASH CONTROL
En attendant Pogo... noir absolu parcouru de glauques luminescences... la tension monte de douze crans en moins d'une seconde, de la sono émerge un glas fatidique et irréversible, ce qui s'avance vers vous dans le lent égrenage de cette lourde ponctuation sonore, c'est la statue du Commandeur qui s'en vient demander sa ration d'âmes, les nôtres, tremblantes d'excitation à l'idée que dans quelques secondes débutera le grand transbordement énergétique.
Déchirure. La salle explose. Jusqu'à la fin du set ce ne sera plus qu'un horrible pandémonium de corps agités et entremêlés. Les Pogo ont frappé. Ne sont en rien des adeptes de la montée en puissance. Donnent tout et tout de suite. Sans attendre. Sans pitié. D'abord la voix, ce rut de colère, cette vomissure sanglante, qui défèque du plus profond des entrailles de la révolte métaphysique adolescente, le non définitif jeté en défi à la platitude du monde, le veto bestial s'opposant à la tristesse des existences, la condamnation excrémentielle de nos conditions de survie, tout ce crachat de haine et de rage amalgamé dans le rugissement royal des déglutitions vocales d'Olivier, il n'ouvre pas la bouche, il lâche les fauves dans l'arène néronienne de nos frustrations, et puis le reste, toute la musique que je déteste psalmodie Tante Agathe, ce déluge scansique, cette transe diluvienne, cette boule de foudre et de flamme noire comme la nuit qui détruit tout sur son passage, vous percute, vous traverse, vous éparpille, vous cendrifie, qui ne vous lâche plus, qui sans cesse revient sur vous, s'acharne, vous piétine, vous disperse, vous poudroie et vous rend à la poussière de vos égotistes petitesses.
Une seule consolation dans cette humiliation, c'est qu'ils ne sont pas mieux lotis que vous, ne font pas le show, sont eux-mêmes dans le froid de la tourmente de leur radicalité, le rock en tant qu'ascèse orgiaque, Dionysos à tout instant démembré en un rituel ultime cent fois recommencé. Jouer à perdre haleine, à puisqu'à chaque fois c'est le sort du monde qui est en jeu, que la guitare se désaccorde que le venin s'épaissit en une gangue de matière noire, l'étron fécal alchimique qui se doit d'être transfiguré en le grès rouge de tous les triomphes, Alexandre forçant les rives du Granique, entraînant ses compagnons dans les escarpements du surpassement de soi-même et des autres.
Même Lola. La douce Lola. La frêle blondeur de Lola. Désormais guerrière provocatrice. Ponctue d'un triple coup de poing définitif, les soubassements néandertaliens, ces rafales sismiques de secousses telluriques dont les soubresauts répétitifs parsèment de cataractes géantes le long torrent tumultueux qu'est l'échevellement musical, le scalp trombinoscopique des Pogo. S'avance au bord de la scène, darde ses yeux sur vous, de longs traits de haine qui vous fusillent à bout portant, et puis recule avec ce sourire roué et en même temps naïf qui parcourt le visage des douze princesses des mortifères ballades de Maeterlinck, celles qui vous rongent l'âme, l'air de rien mais plus gloutonnes que le serpent Apophis qui vous attend dans la barque de votre éternité compromise... Petite fille cruelle qui arrache méthodiquement d'un sourire angélique les ailes des abeilles, juste pour leur apprendre à ne pas voler.
Torse nu, d'une pâleur qui n'est pas sans rappeler la terrible bancheur cahalotique de Moby Dick, Louis à la batterie, sabote notre ouïe. L'on n'aperçoit que ses bras sémaphoriques, sémaphoniques, levés très haut – comme des signes d'appel et d'invocation des divinités du mal. Doit bien les rabaisser de temps en temps sur ses toms pour leur faire la peau comme le prouve le roulement continu des huit sabots de Sleipnir le coursier frénétique qui galope et tournoie sans fin dans un ébranlement rythmique infini.
Flash sur la salle. Des corps sont portés à bout de bras comme des victimes expiatoires que dans un enthousiasme délirant l'on emmène en offertoire devant la scène afin qu'elles soient honorés d'un regard approbatif d'Olivier qui n'en continue pas moins de violer sa guitare et d'éructer le chant tribal des hordes fratricides. Certaines sont déversées sans ménagement sur la scène, s'enroulent dans les fils, mouches engluées dans la toile de l'aragne, s'écroulent par terre entraînant avec elles dans leurs efforts reptatifs de délivrance les pieds de micros. Inutile de s'inquiéter, Royaume de la Douleur, Hypofhèse Mort, Paroles M'assassinent, Rire et Pleurs, toute cette folie est inscrite et préfigurée dans les paroles du groupe. Jusqu'à ce quidam qui s'empare du pied du micro, ne le lâche plus et en tape résolument le sol comme s'il voulait écraser les serpents du désespoir de la chevelure vipérine de Méduse qui chaque matin nous sert de miroir. Olivier agonise sur le sol, mais tel le phénix se relèvera et renaîtra à plusieurs reprises de ses flammes auto-combustatoires.
Apocalypse finale, débâcle, carnage, carambolage, Olivier lance les hostilités, prophétise notre futur injonctif, Crève hurle-t-il et la sarabande de la démence s'empare des esprits. Difficile d'en relater un compte-rendu objectif, les deux guitaristes sont dans la salle et Simon se lâche, lui qui avait été particulièrement brutal envers sa guitare durant tout le set, lui qui s'était lancé dans des vocaux astringents comme des tentacules de pieuvre ne se retient plus. Slide sur les cordes avec le cromi, obtient ainsi une espèce de vomi grésilique de crocodile des plus délicieusement alligatoriens. Et c'est fini. Tout s'arrête. Vous savez bien que cela finirait ainsi mais la pierre froide du tombeau s'est refermée sur vous et vous êtes définitivement seul. Tout le monde se regarde, l'on touche un peu son voisin pour savoir s'il est bien vivant. Malaise général. Comment se raccorder à la réalité après une telle effulgence. Une seule échappatoire, un rappel, retournent enfin sur scène, dégoulinants de sueur et d'eau dont ils se sont abondamment aspergés dans les coulisses pour éteindre le feu inextinguible du rock noise qui court encore dans leurs veines. Reviennent épuisés mais le sourire de la victoire aux lèvres. Olivier nous traite d'américains puisque l'on demande more à mort. Et ajoute qu'il est a lonely guy. Toutefois adulé rajouterons-nous. Un dernier Crash Test. Dantesque. Démentiel. Et nous les laissons partir.
Pogo Car Crash Control. Souvenez-vous de ce nom. Ce n'est pas seulement un bon groupe. Ces jeunes gens sont en train de construire une légende.
( Photo : Guendalina Flamini )
Damie Chad.
21 / 05 / 2017 – SAVIGNY-LE-TEMPLE
L'EMPREINTE
SCORES / SEVENTY SEVEN
THE NEW ROSES
Dimanche après-midi, L'Empreinte, Savigny-le-Temple, dix-huit heures, horaire un peu inaccoutumé pour un concert, mais à ne pas manquer, trois groupes, j'ignore tout des deux derniers, mais ce n'est pas pareil pour le premier, The Scores, un concert pas tout-à-fait comme les autres, le groupe a annoncé sa dissolution, deux ans et demi que nous les suivions sur KR'TNT !
SCORES
Sont là tous les quatre, Elie Biratelle à la basse, Léopold Leroy et Simon Biratelle aux guitares, Nicolas Marillot engoncé dans sa batterie, lancés dans une intro tonitruante lorsque de derrière les amplis où il s'était tapi surgit Benjamin Biot-André, s'empare du micro comme d'une hache d'abordage et entame autour de sa hampe une danse scalpique des plus sauvages, les Scores nous livrent le set définitif, seulement sept titres mais sans une once de graisse, sept épures magistrales, parfaites, l'essence d'un rock'n'roll qui flirte avec le hard sans jamais s'appesantir en des clichés par trop appuyés, trois guitares inspirées poussées grand vent par la frappe multiplicatrice de Nicolas, Good Night, Naughty Angel, Leave me Now nous tombent dessus, énergie à l'arrache au service d'une architecture mûrement maîtrisée, trois traînées d'or ruisselantes telle la semençale pluie de Zeus entre les cuisses de Danaé, et puis Ben prend la parole, explique que c'est le dernier set, à l'Empreinte, là où ils avaient débuté, évoque en mots simples ces cinq années d'amitié fraternelle et toutes ces rencontres que l'existence du groupe a générées, phrases émouvantes qui bénéficient de l'attentive compréhension du public qui pour une grande partie les découvre, et qui se demande le pourquoi de cette séparation, alors que le groupe fait preuve d'une cohésion exceptionnelle. L'on sent la salle touchée, mais Scores repart avec Forget About It – il est des moments de sincérité qui ne s'oublient pas, Take a New Turn – titre prophétique – mais le meilleur est à venir, une version de Born To Be Wild d'une justesse bouleversante, les Scores se sont appropriés le morceau, y ont imprimé leur marque, l'ont customisé à leur manière, en ont saisi le balancement particulier créé par cette ligne de basse et ces riffs de guitare qui ont l'air de se marcher dessus, Ben magistral au chant, pas de criaillerie, mais sa voix évoque le moutonnement infini de l'asphalte et ce désir fou de liberté et cette appétence pour le goût sauvage de la vie qui reste une des vertus cardinales du rock'n'roll, public subjugué, longs applaudissements, et puis le plus amer, Hammer of Life, le dernier morceau, la philosophie à coups de marteaux, ce besoin irrépressible proprement humain de casser les plus beaux jouets que l'on a soi-même fabriqués, la musique nous remplit et nous transporte, mais l'impression que plus personne n'écoute, l'assistance stupéfaite, silencieuse, chacun renfermé en soi-même à méditer sur la réalité des songes qui ne collent à vos doigts qu'un bien court moment et puis s'enfuient l'on ne sait pas trop pourquoi, le chef d'oeuvre s'achève, Ben nous remercie, des mots de braise et de feu, évoque la fin d'un cycle qui se termine sans haine et sans tension et d'un autre qui ne manquera pas de s'ouvrir, Scores est arrivé au bout de son sillon, l'oeuvre est accomplie, la boucle est en train de se refermer, et c'est tout, et les applaudissements éclatent, chaleureux, infinis, ils sont sortis depuis longtemps de scène que le crépitement des remerciements continue... Un instant de grâce et de gratitude. Le concert aurait pu s'arrêter là que rien n'aurait manqué, il est des moments d'une telle intensité qu'ils se suffisent à eux-mêmes, merci SCORES pour tout ce que vous avez accompli, et ce set de toute beauté qui sut accrocher un reflet d'éternité.
SEVENTY SEVEN
The show must go on... scène vide, retentit une musique western d'Ennio Morricone, l'on ira jusqu'à la fin du morceau avant que '77 n'investisse le plateau, trois grands gaillards devant – à croire qu'il faut passer sous la toise pour entrer dans le groupe - mais non le quatrième est d'un gabarit bien plus modeste, un freluquet quand on le compare à ses acolytes, Andy Cobo s'installe à la batterie. Etonnant. L'est comme ces boxeurs qui ne connaissent que deux parades, le crochet du droit et le crochet du gauche. Vous refile cent fois de suite le même plan, légèrement de profil, orienté selon sa caisse claire, idem pour le break, la même distribution à chaque fois. Mais, il y a un mais. Cela pourrait être monotone. Pas du tout, vous dégage un train d'enfer, une machine gun inépuisable, une pêche infernale, d'une efficacité exemplaire, un plaisir extraordinaire à le voir jouer, avec sa coupe de cheveux à la P. J. Proby, son allure de gamin, et sa manière de bomber le torse, de lever le poing et d'exhiber fièrement les muscles de ses bras après chaque folle exagération rythmique, il pousse le groupe d'une façon insensée. D'autant plus folle que les trois tueurs de devant n'ont pas besoin qu'on leur donne le mauvais exemple. Arnaud Valeta et LG Valeta sont aux guitares, pas de la valetaille de dernière zone, vieille Gretch écaillée pour Arnaud et Gibson guère en meilleur état pour LG, viennent de Barcelone, sont comme tout Espagnol qui se respecte donnent l'impression d'avoir toujours une paella sur le feu et un taureau à tuer. Un bicho trucidé chasse l'autre vitesse grand V. Vous envoient de ces estocades de riffs à vous transpercer le corps, de l'acier de Tolède trempé, flexible et imparable. A la basse Guillem Martinez ne s'en laisse pas compter. Vous coupe les oreilles et vous hache la queue cent coups férir. A eux trois ils vous tissent un rideau de fer hardique impénétrable, et avec Andy par derrière qui vous bat la sangria à l'agua ardente, vous avez intérêt à vous faire du souci. Ses congénères le laissent tout seul pour un petit ( en stylistique cela s'appelle de l'antiphrase ) solo, nous montre tout ce que l'on subodorait qu'il devait savoir faire, nous expose à loisir, son truc à lui pour dézinguer le zinc des zimballes, l'on dirait qu'il les crisse avec des griffes de chats, vous scratche la crash et vous ride la ride, un gamin instable qui ne peut s'empêcher de taper de-ci de-là, l'on ne sait pas pourquoi, les baguettes en vadrouille, la pédale qui tamponne la grosse caisse, arrêt-buffet, en profite pour gonfler le biscoto de son bras droit à la Popeye voulant impressionner Olive et brusquement c'est la fixette sur el cencerro, je vous sers le terme hispanique, en français ce serait cloche à vache, heureusement d'ailleurs que la bovidette n'est pas là, sinon elle vous prendrait une de ces dégelées à mériter l'urgente intervention de la SPA, bref la cowbell il vous la fait meugler à faire trembler les loups les plus féroces de peur dans les alpages, l'anarchie totale et une miraculeuse architecture, de quoi flanquer une jaunisse sidérante ( et une leçon d'harmonie transgressive ) à tous les timbaliers du London Symphonic Orchestra, en tout cas l'assistance applaudit à tout rompre, tandis que ses compagnons reviennent opérer une dernière razzia de guitares sans retard. Quittent la scène sous les acclamations. Seventy Seven, pure jouissance rock'n'roll.
THE NEW ROSES
Faudra quatre morceaux pour entrer dans les corolles carnivores des Nouvelles Roses. Après la tornade des Seventies, la tâche me paraissait quasi-impossible. Mais vont y réussir complètement. Efficacité allemande. Vitesse et confort. En douce, vous enveloppent l'air de rien, s'entendent comme des larrons en foire de Berlin, normal viennent d'outre-Rhin, vous enfonce dans la meilleure ouate astringente que vous trouverez sur le marché. Hardy est aux drums et Urban Berg à la basse, vous filent le chewing-gum de base, malléable à volonté et d'une élasticité à toute épreuve, refuse de se désintégrer, de se réduire à quelques filaments filandreux qui vous prennent les amygdales au lasso, une section rythmique de rêve sur laquelle vous pouvez tout vous permettre. Cela tombe bien car les deux ostrogoths restants profitent largement de l'aubaine, Norman Bites et sa Gibson en V, vous la manie comme vous un pique-date pour attraper les olives lors de l'apéritif, une dextérité, une habileté confondante, l'en fait ce qu'il veut et il lui demande le maximum, déjà de sonner juste durant qu'il joue, les esprits chagrins avanceront que c'est la moindre des choses, absolument d'accord mais Norman n'est pas homme à perdre le nord, profite du fait qu'il soit sur scène pour parfaire son parcours santé, déambule comme un dératé de long en large, exercices d'assouplissements divers, enchaînement de vertigineuses postures dignes de l'atha yoga, s'arque-boute le dos en arrière à s'en faire péter la moelle épinière, saute, bondit, s'enveloppe la tête de ses longs cheveux, un mélange détonnant de narcissisme et d'attention aux autres, immobilise ses doigts en plein milieu d'un solo pour que le photographe puisse réussir son cliché, surveille attentivement du coin de l'oeil les trois gaminos tout devant leur scène, leur sourit, leur serre la main, leur refile ses médiators, entre temps il joue, et plutôt mieux que bien, à peine touche-t-il ses cordes que cela s'entend, de la haute précision, vous envoie de ces riffs à l'indolence de panthère, à la royal tiger, tachetés à la léopard, l'est chamanisé, habité de l'aisance majestueuse des félins... Timon Rough est au centre, le grand sorcier c'est lui, guitare d'appoint et de pointe, accompagnement et notes qui vous transpercent et vous déchirent, mais au bout d'un moment vous n'y prenez plus garde, vous envoûte de sa voix, épine acérée et suavité des roses, légèrement éraillée, style expérience du baroudeur à qui on ne la fait pas qui a tout connu et tout vécu, la module savamment, l'en profite pour vous engranger dans ballades envoûtantes, les guitares pleurent et votre coeur saigne, vous hypnotise, vous emmène où il veut, commence tout doux mais très vite la machine s'emballe et ça prend une ampleur majestueuse, technicolor et coucher de soleil, le vent courbe les épis de blé, subitement la tempête déboule et déracine les arbres, et enfin un soleil mélancolique baigne le paysage, mais inutile de recourir au suicide il existe des remèdes à tout explique-t-il, une fille perdue et dix dives bouteilles de whisky retrouvées, ivresse joyeuse, et voici un boogie d'enfer qui vous déboule dessus pour vous entraîner dans une course folle... Reviendront pour un rappel de quatre morceaux, deux trip ballades à vous faire gémir sur les morts de Roncevaux et deux hard songs qu'ils ont dû mal à terminer, remettant à chaque fois que le moteur s'arrête de la gazoline dans le réservoir et c'est reparti pour un tour de piste à fond de train, sortent sous les acclamations du public dont une grosse partie est manifestement composé de fans avertis.
BEAUTIFUL FRIENDS
Les Scores sont dans le hall, possèdent et vibrent de l'indéfectible beauté de la vingtaine, viennent d'offrir et de partager le reliquat de leurs deux disques et de leurs t-shirts, sont maintenant maintenant réunis en cercle – ring of fire - restent soudés entre eux, même s'ils se séparent, chacun ira son chemin, encore incertain, mais mille pistes d'intensité inexplorées les attendent. Rock'n'roll can never die !
Damie Chad.
CONSEIL / CLIP
POGO CAR CRASH CONTROL
TEASER
Savent faire monter la sauce les Pogo d'abord un teaser pour annoncer la parution immédiate du Clip. Tête totémique de mort sanglante qui se décharne vitesse grand V jusqu'au squelette final en neuf secondes. Plus la mâchoire inférieure qui rigole. Bientôt un nouveau clip en lettres rouges s'inscrit sur l'écran. Grand guignol pré-néolithique. Esthétique sauvage écriront plus tard les ethnologues.
CONSEIL
Hall blancheur aseptisée d'hôpital. Psychiatrique. Inutile de préciser, vous vous en doutiez. Nouvelle méthode, thérapeutique douce, on laisse les pensionnaires vaquer à leurs occupations habituelles. Afin de ne pas provoquer le stress supplémentaire que ne manque pas d'induire une coupure par trop brutale avec les comportements existentiels antérieurs à l'enfermement. Me permettrai pas de condamner cette cure médicale d'un genre nouveau, me contenterai d'en juger sur pièce au vu des résultats. Que nous devons avouer déplorables.
Certes l'on a remplacé la bonne vieille camisole de force par un t-shirt d'un blanc immaculé et d'un futal noir ébène, et on leur a refilé leurs instruments. Les pauvres, par un réflexe pavlonien du pire effet se sont précipités dessus et se sont lancés dans une répétition, peut-être même se croient-ils en leur cerveau dévasté en plein concert. Le document que nous communique si aimablement le docteur Romain Perno est des plus intéressants. Réalisé avec un scanner des plus révolutionnaires. Le principe en est simple. Au lieu de vous refiler des coupes gélatineuses de synapses en pleine action, totalement incompréhensibles pour tout individu dépourvu d'un diplôme d'ingénierie scanique, la bécane traduit l'activité mentale des neurones en les donnant à lire comme ces réactions émotionnelles qui affectent votre visage lorsque vous recevez un courrier de votre percepteur vous réclamant cinq ans d'arriéré-d'impôts.
Terrible et effarant spectacle. La caméra se fige sur le visages de nos P3C, les images se bousculent et se coagulent, un cauchemar épileptique, les plans se succèdent et s'entremêlent, ruptures schizophréniques et fractures paranoïaques se chevauchent, rien de stable, tsunami de rictus démoniaques, éclats du miroir de l'âme fragmentée, brisée, éparpillée, tous atteints, irrémédiablement, accrochez-vous c'est la réalité du monde qui se fragmente, je n'ai jamais vu ça grommelle le docteur Perno, et j'ai bien peur que ce ne soit transmissible, une espèce de virus mental qui affecte ceux qui se trouveront pris dans les rayons de leurs yeux globuleux d'un bleu si pur, une catastrophe, je crains de rester dans la mémoire de l'humanité comme l'inventeur du bacille de Perno, le plus répugnant qui soit, vous rendez-vous compte cher Damie, encore quelques mois de recherche et j'aurai isolé le microbe de la folie. Une espèce de fibrome méningé dont la propagation se révèlera cent mille fois plus dangereux que le virus du sida. Je prévois une pandémie qui risque d'éradiquer l'espèce humaine de la planète.
Je me hâte de répondre : certes cher Doctor Perno, c'est parti pour un sale pastis mais il y a tout de même un bon côté à ce phénomène, ce qui est mauvais pour l'humanité est visiblement et auditivement très bon pour le rock'n'roll ! Evidemment rétorque-t-il, si vous le prenez ainsi, mais restons sérieux, je vous en conjure interdisez-vous de révéler à vos lecteurs l'existence de cette vidéo. Vous risquez de déclencher l'apocalypse cérébrale générale. Je me demande même si je ne devrais pas vous interner sur l'heure. Quatre armoires d'infirmiers s'approchent de moi matraque plombée en main, je hurle, ne me touchez pas bande de brutes, mais il est déjà trop tard... Effet rédhibitoire soupire tristement le Doctor Perno.
Damie Chad.
THE HOWLIN' JAWS
COMIN' HOME / I'M HOWLIN'
DJIVAN ABKARIAN : double basse – vocal / BAPTISTE LEON : Drums / LUCAS HUMBERT : guitar
Comin'Home : la voix devant comme jamais sur un enregistrement des Jaws, derrière big mama et la guitare de Lucas sonnent le tocsin, mauvais augure qui se concrétise très vite, Djivan plus pressant que jamais, la batterie de Baptiste qui s'effondre en une dégringolade de fin de monde, Lucas qui finit la catastrophe d'un solo au couteau de commando et Djivan qui vous jette le vitriol de son vocal à la figure, tout cela pour fêter son retour. Vous n'en espériez pas tant ! I'm howlin' : lycanthropie aigüe. Djivan vous susurre un hululement à la douceur d'autant plus inquiétante, et les deux autres loups-cerviers enfuis tout droit du poème d'Alfred de Vigny, vous mijotent un de ces accompagnements de brindille foulée dans le piétinement de pattes peu bruiteuses, le genre de menace insidieuse qui ne saurait durer, vous tombe tous les trois sur un paisible troupeaux de brebis que tour à tour, basse, guitare, batterie entreprennent d'égorger méthodiquement. Le sang frais leur refile une fièvre pulsative, et Djivan clame son contentement à tous les échos. Le désir de chair fraîche n'attend pas. Un morceau à écouter comme la face obscure du petit chaperon rouge.
Les Howlin' deviennent les serial killers du single. Troisième de la série. Les chasseurs de trésor sont sur les dents. Ces trois petits rectangles colorés risquent de devenir des pièces de collection extrêmement prisées par tous ceux qui ont la désagréable manie d'arriver après les batailles ou que leur maman auront éjectés de leurs ventres bien après le déroulement de l'aventure. Quand on pense à tous ces millions d'imbéciles qui n'étaient pas nés alors que l'on construisait les Pyramides ! Tout y est. Z'ont tout compris. Pochettes esthétiques et morceaux d'une imparable efficacité, développent un style et un son qui n'appartiennent qu'à eux. Un des groupes français actuels les plus essentiels. Alors qu'il y a plein de britanic guys qui ne font pas preuve d'autant de pertinence imaginative et refondatrice...
Damie Chad.
AUSTIN OSMAN SPARE
OEUVRES / Tome I
Trad : PHILIPPE PISSIER
( Collection ANIMA / Mars 2017 )
Je vous chronique ce bouquin, je vous sauve la vie. Ne me remerciez pas, envoyez-moi plutôt un chèque. Prochain dîner en ville, coup de Trafalgar, vous vous retrouvez assis en face de Jimmy Page, vous vous sentez mal, que lui dire qu'il ne sache déjà ? Page ce n'est pas la petite voisine du troisième qui ouvre des yeux émerveillés lorsque vous lui montrez votre collection de pirates de Led Zeppe. Ce n'est pas à lui que question rock vous allez lui en remontrer. Il existe bien une sortie de secours. Mais elle est fermée à clef, barricadée de l'intérieur avec des blocs de béton de dix tonnes. Jardin secret de Monsieur Page. Depuis des années, les journaleux n'osent plus évoquer le sujet. Secret défense, à la moindre ombre d'un semblant de fausse allusion Page devient muet comme une tombe. Son visage se ferme, une ange aux ailes cassées passe... ( voir le logo de Swan Song Records ). Ce bouquin est le cheval de Troie qui va vous permettre de pénétrer dans la citadelle. Attention, une fois que vous serez dans la forteresse, faudra assurer, avec ce diable de Page, c'est le grand jeu qui commence. C'est que dans sa vie Page ne s'intéresse qu'à deux choses : la réédition des oeuvres complètes de Led Zeppelin, et Aleister Crowley. La Grande Bête de l'Apocalypse, the king of the road 666, voici votre angle d'attaque, plein feu sur le maître du Dirigeable, Austin Osman Spare est l'anti-Crowley par excellence. Maintenant que vous avez déclaré la guerre, je ne vous laisse pas tomber, vous fournis quelques biscuits, la discussion risque d'être animée.
Austin et Aleister se sont connus, de près. Se sont fâchés aussi. Spare ne pouvait supporter cette grande folle de Crowley. Trop de clinquant, trop de baratin, grotesque et irritant. Le cérémonial, les rituels alambiqués, les formules magicques secrètes révélées par une mystérieuse entité de l'outre-monde, Spare n'en avait rien à faire. Charlatanisme. Lui aussi pratiquait la Magie. Selon un autre mode.
Voici donc le premier volume de ses oeuvres. Vincent Capes et Philippe Pissier ont rajouté aux quatre livres écrits et dessiné par Spare, une introduction d'Alan Moore, et un essai de Julian Moguillansky, manière de vous éviter de perdre pied à la troisième page... Spare naquit en 1886, très tôt il se fait remarquer par ses dessins qui rivalisent avec ceux de Aubrey Beardsley. Une carrière d'artiste reconnu s'ouvre devant lui, mais peu à peu il s'en détournera et finira par y renoncer. Une tâche bien plus étrange l'accapare...
L'est de ces hommes qui cherchent au-delà du vernis de la réussite sociale à réaliser leur moi profond, afin d'en éprouver les modalités les plus opératives. Il ne s'agit pas de faire quelque chose ( de bien ou de mal ) de sa vie, le dernier imbécile venu y parvient sans difficulté, mais d'acquérir une intime compréhension de la réalité afin de pouvoir l'acter selon sa volonté.
Le lecteur ne sera pas sans penser au concept de volonté de puissance de Nietzsche, mais le travail d'un Spare est davantage redevable de la tradition ésotérique que de la philosophie occidentale proprement dite. D'où l'emploi d'un vocabulaire qui n'est pas spécifiquement défini. A la place de concepts il use de vocables utilisés en tant que points de fixation et de globalisation sémantique, le mot envisagé en sa puissance poétique imaginale, ce qui laisse évidemment libre-cours à maintes indéterminations.
Le vecteur de base sparien est le Moi. Rien à voir avec l'égo ou le cogito. Simplement mon appréhension du monde. Premier piège à éviter : ne pas penser que vous détenez la vérité. Si vous trouvez que le paysage est beau, n'oubliez pas que quelqu'un d'autre le trouvera laid. Pire, même si tout le monde se pâme, la possibilité qu'il soit empreint de laideur n'en demeure pas moins. Ni beau, ni laid. Ni-Ni exclut le nihilisme tout comme moins par moins induit la positivité mathématique. Ni-Ni signifie les deux à la fois, en le sens que toute présence objectale s'inscrit dans la dualité de sa non-existence. Deuxième piège à éviter : ne pas céder au doute. Choisissez. Assumez, en toute connaissance de cause. Remarquez en passant que la non-existence de Dieu n'est guère plus importante que l'absence causale aristotélicienne... Bizarrement nous sommes sur une route qui n'est pas sans parallèle avec la démarche kantienne !
Maintenant que vous avez réduit le champ des possibles de l'univers à la non-existence de sa possibilité impossible, il vous reste à agir dans cette espèce de zone de haute neutralité qu'est la réalité. Austin Osman Spare possède sa méthode : les sigils. Les sceaux. S'agit de se fabriquer un signe qui vous permette d'oeuvrer au sens quasi-alchimique de ce terme. Ne vous trompez pas, la réalité extérieure n'offre guère d'intérêt. Elle n'est qu'une interprétation infinie. Ma représentation selon Schopenhauer. L'autre versant de votre volonté élective. Les strates du monde sont à l'intérieur de vous. Freud appellera cela l'inconscient. Mais ne l'imaginez pas comme la poubelle de vos interdits et de vos peurs de laquelle vous ne pouvez de temps en temps vous empêcher de soulever le couvercle. Non, considérez plutôt le gouffre abject de vos immondices phantasmatiques en tant que matrice des temps perdus – qui sont donc aussi conservés – je vous laisse à vos explorations archéologiques. C'est ainsi dans ce mémoriel terreau temporel que l'induction magique de la subjectivité s'objectivise.
Les sceaux sont comme des symboles, des signes simplifiés à l'extrême que vous griffonnez à tâtons sur un morceau de papier dans le but de les mentaliser facilement. Les tenir toujours en représentation dans votre esprit durant votre vie quotidienne. Vous serviront au moment idoine, un peu à l'instar de ce couteau suisse que vous trimballez depuis deux ans dans votre poche mais qui à l'instant précis et critique se révèle l'outil idéal qui vous permet de vous tirer d'une situation difficile... Les quatre espèces de runes zodiacales qui ornent la pochette du Zeppelin IV ne seraient-ils pas des sceaux spariens ?... Profitez-en pour accuser Page de haute trahison. Autre piste de recherche : cette mode des monogrammes dans les milieux artistiques à la fin du dix-neuvième siècle desquels les doctes chercheurs universitaires ne se sont jamais enquis... Et pourtant que de réflexions à mener lorsque l'on considère l'analogie graphique de l'entrelacement serpentaire mallarméen avec la constellation finale du Coup de Dés...
Spare s'est aussi intéressé à la technique du dessin inconscient. Dessiner sans réfléchir, pour ensuite réfléchir à ce que vous avez dessiné. L'écriture automatique des surréalistes n'est pas loin, mais les buts poursuivis ne sont pas les mêmes. Le surréalisme c'est encore le Connais-toi toi-même de la sentence inscrite sur le fronton du temple de Delphes, Spare c'est la deuxième partie de la devise, celle qui établit la nature des Dieux... Le livre présente de nombreux dessins de ce type. Qui ne sont pas très esthétiques, du moins à mon goût, mais ce n'est pas la recherche de cette qualité qui a présidé à leur élaboration, à leur menstruation psychique. En ajout des travaux graphiques de l'artiste, notamment des projets d'Ex-Libris, ces petits rectangles de papier, autant marque d'appropriation hommagiale qu'exaltation hiéroglyphique de soi-même que les bibliophiles se faisaient un devoir de coller sur les pages de garde de leurs exemplaires, tradition qui s'est quelque peu perdue mais qui d'après moi survit étrangement dans ces flyers que les groupes de rock distribuent pour annoncer leurs concerts... Quand on aura rajouté que le sexe semble être pour Austin Osman Spare un moyen initiatique et destructeur des plus essentiels, le lecteur se retrouve en pays de connaissance. Notons que Spare emploie souvent le mot femme quand il veut signifier sexe... Soyez déductifs.
Les recherches de Spare sont relatives, pour ne pas dire absolument relatives – à l'obtention d'une vie de plaisir. Il ne s'agit pas de copuler à outrance. Mais c'est ici que nous voyons s'inscrire en filigrane une des faiblesses de la pensée ésotérique. Celle-ci est fortement marquée par la culture chrétienne qui a accompagné sa naissance et son déploiement. Bien entendu elle possède aussi ses racines païennes, mais elle s'est avant tout pour ce qui nous concerne développée en des siècles éminemment christianophiles. Si bien que Spare et Crowley nés et élevés dans l'Angleterre protestante ont érigé leurs oeuvres impénitentes à l'encontre du puritanisme anglo-saxon. Mais culturellement imprégnés d'un substrat biblique ils ont tenté de pervertir ce legs nauséabond de l'intérieur. Leur vision de la sexualité n'est pas libératoire telle que notre modernité la conçoit, ils effectuent un travail de sape en la présentant comme un retour aux temps édéniques. Perfection de la nudité éveillante d'Eve. Effraction des portes originelles. Au siècle précédent, Les Chants d'Innocence et d'Expérience de William Blake s'aventuraient déjà en de telles et semblables extrémités. Spare est vraisemblablement plus près de Blake que Crowley attiré par l'exemple communautaire de l'abbaye de Thélème. Le fait que Blake et Spare aient été avant tout des artistes – alors que Crowley s'inscrit par devers ses qualités intrinsèques d'homme de lettres et de poète dans le registre des grands communicants – explique la filiation en quelque sorte naturelle entre Spare et Blake qui illustrait ses propres textes.
Austin Osman Spare finit sa vie dans un relatif anonymat. Entouré de ses chats dans le Londres populaire. L'homme s'effaça de lui-même. En notre pays, son nom a disparu de la mémoire collective. Il n'en est pas de même en Angleterre où il ne fut jamais entièrement oublié et où son oeuvre graphique et sa trajectoire individuelle fascinent de nouvelles générations. Il est aujourd'hui considéré comme l'un des générateurs de la Magie du Kaos... Pour les lecteurs sceptiques quant au sérieux des élucubrations de type sparien et crowleyen, emplis de doute cartésien, nous conseillerons de lire Vision de Yeats, ils ne trouveront pas meilleure introduction, issue du répertoire estampillé « Littérature sérieuse, grand écrivain », à ce type de démarche intellectuelle des plus borderline. Si le Christ a marché sur l'eau pourquoi l'homme s'interdirait-il de s'aventurer au-dessus de l'abîme !
Les esprits curieux ne manqueront pas de se procurer ce premier volume, grand format, papier Bouffant, impression exemplaire, couverture d'un orange philosophal rehaussé d'une titulature d'un jaune aussi dorée qu'une aube, 290 pages, pour la modique somme de 23 euros. Pas cher. Mais le chiffre de l'Eris. Certains comprendront. Mais un lecteur averti en vaut deux.
En tout cas, Jimmy Page connaît tout cela.
Damie Chad.
P. S. : lire aussi notre chronique sur Magick d'Aleister Crowley in KR'TNT ! 162 du 07 / 11 / 2013. Vous y retrouverez en ses oeuvres les plus figuratives Philippe Pissier qui s'impose de plus en plus comme l'un des activistes ésotéristes les plus germinatifs de notre temps. Une figure essentielle à découvrir.
13:10 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : t-shirt, pogo car crash control, scores, seventy seven, new roses, romain perno, howlin' jaws, austin osman spare, thee oh sees
17/05/2017
KR'TNT ! ¤ 329 : JIM JONES & THE RIGHTEOUS MIND / THE INFERNAL / THAT'5 ALL / HOWLIN' JAWS / BIG BOSS MAN /THE GRYS-GRYS / WHO
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 329
A ROCKLIT PRODUCTION
18 / 05 / 2017
JIM JONES & THE RIGHTEOUS MIND / THE INFERNAL / THAT'5 ALL / HOWLIN' JAWS BIG BOSS MAN / LES GRYS-GRYS / WHO |
MÊME TEXTE + PHOTOS SUR :http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/
Me and Mr Jones
Ce Mister Jones ne sort pas d’une chanson de Billy Paul mais du sérail londonien, certainement la meilleure école de rock au monde. Non seulement Jim Jones affiche un sacré pedigree, il semble en plus atteindre une sorte de maturité cabalistique, au sens du boogaloo du terme, bien entendu.
En réalité, cette forte impression de maturation émane d’une remise à plat du système Jim-Jonien. Après s’être livré à quelques stoogeries au temps des Hypnotics, il s’est ensuite amusé à ré-inventer la dynamique du blues-rock défenestrateur avec Black Moses. Puis il s’est cru autorisé à penser qu’il pouvait rivaliser avec Little Richard, ce qui fut bien sûr une grave erreur, car personne ne peut rivaliser avec Little Richard, surtout pas un petit cul blanc, aussi bien intentionné soit-il. C’est même une aberration que d’avoir cru ça possible. Alors, pour sortir de cette impasse et se débarrasser des oripeaux qui l’empêchaient de redevenir Jim Jones, il fallait refondre le bronze des statues. Enfin débarrassé de ce pianiste qui figeait la formule, Jim Jones put reprendre son élan. Exit the Jim Jones Revue.
Son nouveau groupe s’appelle The Righteous Mind. Ça doit bien faire la troisième fois qu’on les voit sur scène : un premier set gratuit à Beauvais, un deuxième à l’Abordage et un troisième au Petit Bain qui coïncide avec la parution d’un premier album très attendu, et même extrêmement attendu, car les deux sets pré-cités en firent baver plus d’un.
Le son du nouveau groupe n’a plus rien à voir avec celui de la Revue. Jim Jones met le paquet sur les ambiances et va sur des choses beaucoup plus sombres, mais diablement captivantes. S’il ne tombe pas dans le piège de la formule Nick Cave, c’est parce qu’il s’appelle Jim Jones et que ses racines stoogiennes remontent à la surface, notamment dans ce fabuleux «Alpha Shit» de fin de set qui n’est même pas sur le nouvel album. Jim Jones semble enfin être redevenu Jim Jones, c’est-à-dire un rocker londonien dont on attend des miracles, et dont la crédibilité repose sur sa réputation de cult-rocker londonien underground.
Si on veut vraiment pouvoir apprécier cet album qui s’intitule Super Natural, il est souhaitable d’aller voir le groupe sur scène auparavant. Jim Jones reste avant toute chose un fantastique performer, l’une de ces bêtes de scène qui maîtrisent l’art de chauffer une salle. C’est un régal que de le voir haranguer le public et mettre le feu aux poudres en claquant le beignet de ses accords. Dans les moments d’intensité maximaliste, le groupe entre dans une dynamique qui rappelle celle du MC5 : ils sont trois à circuler et à sauter, ils vont très vite, ils avancent et reculent à tour de rôle et créent les conditions d’un parfait chaos sonique. Jim Jones a cette manie de faire des petits bonds et de retomber sur ses deux pieds, comme s’il voulait encore enfoncer des clous. La scène tremble, car il saute avec force. Avec le temps, il n’a rien perdu de son énergie, il semble même affiner son profil de soul shaker. Il est tellement parfait qu’il semble en voie de starisation, mais qu’on se rassure, nous ne sommes pas encore à Bercy et le Petit Bain n’a pas fait le plein, loin de là. Au fond, Jim Jones n’intéresse pas grand monde.
Comme ce mec adore son public, il vient toujours papoter après le concert. Il sait qu’il est bon, mais il apprécie vraiment qu’on le lui redise. Son mot d’ordre est «Spread it, spread it !». Alors on spread. Jim Jones par ci, Jim Jones par là. Mais on le sait, les Français préfèrent la politique. Par contre, les gens de Vive le Rock préfèrent Jim Jones : fait rarissime dans la presse anglaise, Jim Jones décroche un 10 sur 10 pour son nouvel album. Rich Deakin multiplie les formules ronflantes qu’on adore, du genre «hi-octane brand of rock action», ou encore «high-energy punk rock blues outfit» pour évoquer le passé, et «mind-melting brain blasters» pour évoquer le présent. Oui, car quelques épisodes de ce nouvel album plongent des racines tentaculaires dans la légende des Hypnotics. Rich Deakin va même jusqu’à écrire que certains cuts pulvérisent l’auditeur, mais bon, il exagère un peu. Disons que le «Dream» d’ouverture du bal secoue bien la paillasse, car le pianiste Matt Milleship joue le riff de fuzz assis derrière son meuble et un beau geyser d’énergie jaillit sous nos yeux globuleux - Real pain takes/ The color out of everything - Voilà une pure merveille atmosphérique, Jim Jones chante comme un damné perdu dans les corridors glacés de sa folie. Sur scène, «Dream» se trouve en milieu de set, ce qui semble logique vu s’il s’agit d’un cut réellement intense. Il vaut mieux qu’il soit pris en tenaille entre des choses plus dociles.
Lorsqu’un album démarre ainsi, il y a deux façons de réagir : soit on s’éponge le front en se disait qu’on va encore en baver, comme avec tous les très gros albums, soit on se frotte les mains, car les très bons disques commencent à se raréfier. On tombe un peu plus loin sur un «Something’s Gonna Get It Hands» joué au Diddley beat et plongé dans l’épaisseur cauchemardesque d’une danse du scalp. Jim Jones y joue la pire des insistances avec I know I know et le cut bascule dans une ambiance délétère de type twilight zone. On n’avait pas revu une telle absence de mansuétude depuis les early Saints. Le climat continue de se détériorer avec un «No Fool» chargé de son comme une mule, et qui sonnerait presque comme un Chant des Partisans macabre, ou si vous préférez, le battement des tambours qui accompagne une montée du condamné à l’échafaud, sur une place du beffroi noire de monde. C’est d’une noirceur qui pourrait perturber. De là à penser que c’est fait exprès, c’est un pas qu’on franchit sans même réfléchir. Jim Jones cultive une sorte de gothique baroque et entre en osmose avec la pochette de l’album, qui est excessivement troublante : on a là un gros mélange de collages retravaillés, du Clovis Trouille sans humour, de l’hermétisme de pacotille à tendance sataniste et sournoisement érotique. Assise au premier plan, une courtisane nue capte bien le regard. Elle sort d’un jeu de tarot la carte de la mort et derrière elle, une sorte de Raymond Roussel au yeux bandés tient dans le creux de sa paume le feu sacré du vif-argent. C’est une œuvre qu’on examine avec le plus grand soin, car elle pullule de détails onirico-démonologiques dignes d’un Max Ernst, mais pas celui du mouvement surréaliste, non, disons plutôt un Max Ernst qui serait possédé par le diable. En réalité, l’auteur s’appelle Jean-Luc Navette, ce qui a le don de calmer les esprits.
Puisqu’on vient d’effleurer l’incantatoire, profitons-en pour écouter le «Boil Yer Blood» qui ouvre le bal des vampires de la B. Voilà un cut sombre dont les chœurs mâles résonnent sous les voûtes de pierre d’une salle de garde, alors que sous les fenêtres fument encore les corps des hérétiques brûlés vifs. Jim Jones passe à la riche complainte exacerbée avec «Heavy Lounge #1» - Kiss me my darling/ Oh yeah you take the pain - Jim Jones n’est plus que dark pain, yeux crevés et soleil transpercé. Rich Deakin trouve que le cut dégage un vieux relent Led-Zeepy d’«Immigant Song». Par contre, le hit de l’album pourrait bien être «Til It’s All Gone», chanté à l’épique grandiose et soutenu une fois de plus par une rumeur de chœurs mâles d’essence tribale. Jim Jones s’y arrache bien la glotte - Just gotta live it/ Live it/ Til it’s all done - un cut qu’ils jouent dans le début du set et qui sur scène passe comme un lettre à la poste. Il faut dire que Jim Jones est extrêmement bien entouré. Avec sa pedal steel guitar, Malcolm Troon enrichit considérablement les ambiances. Il joue une bonne moitié des cuts assis derrière son crin-crin, mais quand il se lève pour passer la bandoulière de sa Grestsh rouge, c’est uniquement pour en découdre et jouer au twin guitar attack avec Jim Jones. Leur numéro est tout simplement spectaculaire. Ils cultivent tous les deux un goût prononcé pour la furie. Il faut aussi saluer bien bas le bassman Gavin Jay, seul rescapé de la Revue. Il joue sur une belle Ricken et adore participer aux séances de folie collective. De la même manière que Jim Jones, il adore danser la Saint-Guy des catacombes.
En guise de conclusion, Rich Deakin prévient qu’on aura du mal à trouver quelque chose d’aussi parfait d’ici la fin de l’année - You’ll be hard pushed to find anything as perfect anywhere else all year - Il exagère peut-être encore un tout petit peu.
Signé : Cazengler, the Devious Mind
Jim Jones & the Righteous Mind. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 10 mai 2017
Jim Jones. Super Natural. Masonic Records 2017
Vive le Rock # 44. Chronique de l’album par Rich Deakin
13 / 05 / 2017 - HERMé
DIXIEME ANNIVERSAIRE
SIGVALD'S MC SEINE ET MARNE
THE INFERNAL / THAT'5 ALL
La teuf-teuf n'en mène pas large, sur la route d'Hermé elle voit le doute s'immiscer en elle, gros J7 couché sur le flanc en travers de la chaussée, et voiture à soixante mètre en plein champ au milieu d'une pluie de bouts de ferraille, retournée sur le toit, camion de pompier et voiture de police qui règle la circulation... Brrr ! Mais il en faut davantage pour faire peur à un rocker, c'est qu'aujourd'hui le Sigwald's Motor Club fête son anniversaire, le genre d'amicales festivités qu'il serait malséant d'oublier.
Une centaine de motocyclettes garées devant le local, une grande cour encombrée de stands et de tables, baraque à paella et camion pizza, les moto-club de l'Aube et de la Seine-et-Marne se sont donnés rendez-vous, 1% + 1%+ 1%+... ça commence à faire du monde... Beaucoup de figures connues, les Loners de Lagny-sur-Marne, délégation du 3 B de Troyes, mais aussi les Farfadets, les Templiers, Ghost's Road, Boyans Choppers, Metal Crew, les Wanahawks, les Hammers, tous chevaliers de l'asphalte...
THE INFERNAL
Trio rock'n'roll. Se sont formés dans leur jeunesse. Ne se sont plus revus durant quinze ans. Et puis lors d'une rencontre festive se sont retrouvés à interpréter Johnny Be Goode pour faire plaisir à l'assistance. N'auraient pas dû. La tarentule du rock'n'roll les a mordus une deuxième fois, se sont reformés just for fun. Et les voici sur scène dans la grande salle du local des Sigvald's. Beaucoup sont restés au soleil dehors à écluser des litres de bière, mais les passionnés de rock sont là, notamment Karine, la bassiste d'Hellefty qui ne participera pas à la fête ce soir. Dommage !
Ne se prennent pas la tête, ne touchent pas aux compos originales des temps perdus, prennent leur pied dans le répertoire des reprises de Foxy Lady, la renarde mordorée d'Hendrix, à l'autoroute goudronnée des mauvaises intentions de l'Enfer d'AC / DC. Tout de suite le son est là. Le gros, le méchant, le speedé, l'électrique à mort, le diable vous prend par la main et vous emmène cueillir les mandragores exaltées sur le sentier de la perdition. Leader maximo Gibson guitar et basse Fender, ça claque dur et ça cloque énorme comme de la lave de volcan en fusion, un régal de roi, que dis-je le dîner des quatre empereurs à Rome, les festins de Lucullus et les orgies de Sardanapale, le batteur réalise la synesthésie du son et de la couleur, fûts de cet ocre marron-orange du pelage du tigre rehaussé de petites touches de noir-panthère, une frappe qui donc allie grâce féline et jungle férocité, pas le temps de s'ennuyer avec Infernal, basse grave et voix légèrement haut-perchée, les riffs défilent et enfilent vos oreilles comme des frelons géants qui tournent sans fin dans votre cerveau. Vous ne pouvez pas savoir comment ça fait du bien d'avoir les neurones ensanglantées, z'avez l'impression qu'un pic-vert vous picore les méninges et vous gobe en un tour de bec les obsédantes grappes d'idées noires et bleues.
En plus, s'excusent presque de jouer pour leur plaisir – qui devient instantanément le nôtre - lorsqu'ils présentent les morceaux, vous transportent en un fragment temporel d'innocence et de pureté rock'n'roll comme les habitués des concerts en rencontrent peu. Infernal et paradisiaque.
THAT'5 ALL
( 1 )
Cinq sur scène. Nous préviennent d'entrée. Ne font que des covers. Mais tirent la couverture à eux. Font leur mix, ne proviennent pas du même lieu. Mais au lieu de se prendre la tête, mélangent toutes leur provenances dans la tambouille, rock'n'roll, hardcore, glam, métal, djent, mais attention feu violent sous la cocote minute. Surtout ne jamais l'ouvrir, attendre simplement qu'elle explose. Le problème c'est qu'elle explose très vite. Mais ce n'est jamais trop tôt parce les That'5 All détestent attendre.
Une mécanique huilée. Une stratégie mûrement réfléchie. Formation de base, un derrière, un devant, trois au milieu. Donc au fond Helder à la batterie. N'en concluez pas qu'il joue de la batterie. Non pas du tout, il joue à la batterie. Saisissez la nuance prépositive. Pas le genre d'hurluberlu primitif qui tape sur ses peaux comme le premier venu, ses baguettes n'ont pas encore effleuré la moindre caisse, qu'il se charge d'énergie, il l'aspire, elle descend dans son corps, et d'un seul coup il la projette hors de lui, la propulse, la crache sur ses toms et c'est le retour de l'hurricane qui balaie les sequoias devant lui comme des fétus de paille.
Heureusement. Parce que devant, il y a Olivier. Tout seul avec son micro. On devrait le lui supprimer. N'en a pas besoin. Le concassage drumique, l'a intérêt à ne pas faiblir un milliardième de seconde sans quoi on ne l'entendrait plus, c'est que l'Olivier il vous le surmonte avec une telle aisance que cela en devient indécent. Pensez à des radiations sonores qui s'enfuiraient de l'explosion de Tchernobyl, rien ne les arrêterait, eh bien maître Olivier il vous balance son vocal comme la bombe atomique sur Hiroshima. Avec une désinvolture révoltante. En plus il se permet de pogoter, de gigoter, de marcher dans tous les sens, de descendre dans le public, de lui tourner le dos, bref de n'en faire qu'à sa tête. Peut être essoufflé entre deux morceaux mais il vous ressort illico sa voix aussi épaisse qu'un porte-avions.
J'entends votre questionnement. Mais que font les trois autres, sagement alignés avec leur guitare comme des boîtes petits pois sur leur étagère ? Je reconnais qu'à première vue ils ont l'air de tirer au flanc, genre puisque les deux madurles de devant et de derrière se chargent du boulot, surtout ne les contrarions pas. Bandes d'ignorants ! Analpha très bêtes du rock'n'roll, ouvrez vos yeux et vos oreilles. Oui ils donnent l'impression de paisibles bergers mollement couchés dans l'herbe sicilienne d'un poème de Théocrite, mais non, reportez-vous à la fin de la République de Platon lorsqu'il entame la description des trois plus terribles divinités que la terre ait jamais engendrées, les Moires sans pitié qui tissent le fil de votre existence humaine.
Sont ainsi. Mais eux ils tressent le barbelé de quelque chose de bien plus importante que votre misérable biographie, c'est le filin du rock'n'roll qu'ils tissent. A droite voici Anthony, extrait de sa basse de longs filaments sans fin qui n'en finissent pas de se dérouler, des notes graves et profondes qu'il repasse à ses voisins, sans leur jeter un seul regard, derrière ses lunettes à la Buddy Holly, ses yeux se perdent en un long rêve d'attente frissonnante... Au centre, de sa guitare rythmique Christophe inflige scansions et étirements divers à cette longue longe qui s'entremêle entre ses cordes, c'est lui qui donne la vie, la couleur et les saccades nécessaires à l'épanouissement vif-argent des modulations outrancières, mais voici Silvio, souvent ses doigts restent immobiles, il guette le moment décisif où il devra trancher le riff, définitivement d'un coup sec, le renvoyer au néant tombal, se contente d'un frôlement, laisse perler une ou deux notes assassines, et se remet aux aguets, ou alors il se lance dans un solo dévastateur, des coups de hache qu'il assène violemment comme si le serpent musical ne voulait pas mourir et qu'il fallait l'achever de brusques tapes acérées, tranchantes comme un couperet de guillotine, prend soin tout de même que ce ne soit pas trop rapide, que l'on puisse entendre ses crissements de souffrance.
Dix titres. Avec l'excuse du morceau lent – ce sera So Far Away d' Avenged Sevenfold – avec la gradation attendue qui se termine par un ramdam de tous les diables car That'5 All ne sait pas rester calme, d'ailleurs après un Sex on Fire ( King of Leon ), un Nightrain ( Guns and Roses ) et the Trooper ( Iron Maiden ) ils promettent de revenir dans un quart d'heure avec un set un peu plus enlevé. On ne s'était pas aperçu que celui-ci avait été particulièrement tempéré.
INTERMEDE ( A )
Diable que se passe-t-il ? La salle se remplit de plus en plus. Etrange que des cohortes de bikers restés à discuter dans la cour s'en viennent squatter les premiers rangs alors que le set vient de se terminer. Ne voilà-t-il pas qu'ils entreprennent de vider la scène de tous ses micros et que les éléments de la batterie sont démontés et poussés au-dehors. Un virus anti-rock'n'roll aurait-il sévi ? D'autant plus que sur l'estrade l'on se hâte de disposer une chaise et d'y asseoir un jeune impétrant qui attend placidement la suite de l'aventure.
Mais la voici. Les ligues féministes peuvent se dispenser de la lecture des paragraphes suivants. Ce n'est un secret pour personne la culture biker touche quelque peu au domaine de l'affirmation virile. En voici donc une de ses représentations des plus phantasmatiques. Si vous êtes d'âme délicate qui n'aimez point que l'on vous souligne d'un gros trait rouge les éléments essentiels de la vie rabattez-vous sur la lecture de La Motocyclette d'André Piyere de Mandiargues, mais si vous tenez à assister au rituel sachez que la réalité est parfois aussi évanescente que les tendresses les plus platoniques.
Toute belle, toute en chair. Nue dans votre tête mais gainée de cuir en ce monde de regrets, Miss pin up s'avance vers vous. Non, elle n'est pas pour vous, la femme araignée se contentera de la victime offerte sur sa chaise. Provocation et frustration sont les deux mamelles de son art. Les siennes propres sont deux merveilleuses rondeurs, deux globes majestueux dignes des coupoles de Sainte-Sophie et du Panthéon romain. Les dévoilera d'abord au seul jeune homme comme un secret échangé entre eux deux, puis à nous tous, mais ce sera les deux uniques fragments de beauté qui seront révélés, pas pour très longtemps, s'enveloppera vite d'un drapeau italien avant de sortir de scène. Mais ce n'est pas tout, avant nous aurons eu droit à toute la mimétique de l'acte amoureux, les poses lascives et les ondulations suggestives, un croupion que l'on agite indécemment sous votre nez, mais tout est faux, tout est toc, se vautre sur le jeune homme, l'entoure du coussin d'air de la ventouse de sa chair, esquisse les gestes de la fellation, imite le soixante neuf, et puis se retire, nous prive de sa simulation... Ni érotique. Ni pornographique. L'art figuratif des esquisses perdues. Le viol du cygne qui n'a pas eu lieu. Inutile de tirer la langue elle n'atteindra jamais son sexe. Perfide et cruelle ambiguïté de ce qui se donne à voir sans s'offrir.
INTERMEDE ( B )
Retrouvons nos esprits. That'5 All s'attelle à la tâche de nous faire recoller au rock'n'roll. Rien de tel qu'un électro-choc pour vous remettre les idées en place. Mais ils n'iront pas plus loin que le quatrième morceau. Ordre leur est communiqué de d'arrêter les frais. Les Sigvald's nous ont offert un premier cadeau, rien de tel qu'une légère collation pour reprendre des forces après de telles émotions, et nous assistons au découpage de deux énormes gâteaux – anniversaire oblige - emplis de crème, de pâte d'amande et de pistache, la queue s'allonge ( inutile de voir en cette simple notule descriptive une allusion à l'intermède précédent ) assiette plastique en main chacun attend sa portion succulente. Certains tricheurs repasseront plusieurs fois. Je ne donnerai pas la liste de peur d'y apercevoir mon propre nom.
THAT'5 ALL ( 2 )
Reprenons notre récit à l'endroit exact où nous avons été par deux fois si tragiquement interrompus. Z'avaient ouvert le deuxième set avec Season in the Abyss de Slayer mais nous irons tout droit après l'interruption pâtissière à leur interprétation de Nothing Else Matters. Font merveille sur la structure métallique. Cet empilement prodigieux d'excroissances sonores qui ne s'achèvent que par la naissance d'une nouvelle architecture leur sied à merveille. Un feu qui ne s'éteint jamais, même si l'on voit chaque flamme grandir, se déployer comme un incendie géant et puis rétrécir et agoniser de sa belle mort qui s'en vient se perdre dans l'advenue d'une autre vague aussi violente que la précédente. That'5 All a compris la quintessence de Metallica qui refuse d'exposer chronologiquement la montée en puissance d'un riff et puis son anéantissement, le band écoule deux phases de deux cycles en même temps, l'une s'en vient mourir dans le moment même ou une nouvelle l'entraîne dans son déferlement, cette dualité qui propose et mort et naissance de deux riffs concomitants évite les dangers successifs du pompiérisme métallifère, un effet chasse l'autre mais ne le tue pas, l'emmène avec lui, en la course du morceau jamais de fin intermédiaire, jamais de véritable reprise, mais torride accumulation d'énergie, Helder parcourt ses toms en trombes, Sylvio se déchaîne – plus le temps de laisser Christophe se dépatouiller tout seul, tous deux tricotent de concert l'énorme vague qui nous submerge, Olivier est en verve, chante et commente, instaure le dialogue avec le public qui se réduit pour le troisième set qui n'en sera que plus fort car davantage porté par des passionnés. Un Sweet Child o' Mine aux fusils pétaradants saupoudrés d'épines de roses empoisonnées, un Antisocial démentiel et un killer medley de Metallica stratosphérique. N'en jetons plus. Mais comme nous en redemandons un chouïa de plus ils nous horrifient d'un reggae.... qui tourne vite à la purée hardique dynamytée.
C'est tout.
Mais amplement suffisant.
Ne reste plus qu'à remercier les Sigvald's pour l'organisation, l'ambiance et la chaleureuse simplicité de l'accueil. Un anniversaire dont on se souviendra.
Damie Chad.
15 – 05 – 2017 / LA MAROQUINERIE
VERTE EST LA NUIT
LOIRE VALLEY CALYPSOS
HOWLIN JAWS / BIG BOSS MAN
LES GRYS - GRYS
De bon matin je surfe sur internet, lorsque je reçois un message personnel de Dieu – ça m'arrive, pas tous les jours, quelquefois seulement – ventrebleu saint Grys Grys moi qui encore la veille me désespérais de n'avoir aucune nouvelle des Grys Grys, voici leur nom sur le coin du flyer, en plein Paris, et en plus les Howlin Jaws, décidément je suis gâté, et encore mieux, c'est gratuit si vous vous inscrivez, sur ce coup-là il faudra brûler une chandelle romaine de remerciement à Nique Ta Mére, pardon je voulais dire la Sainte Vierge, bref lundi soir, direction la Maroquinerie.
CHARTREUSE SANS PARME, CHARTREUSE SANS CHARME
L'entrée vous donne droit gratis à une chartreuse – infâme ramassis de plantes médicinales rehaussé de pulpe de citron - plus un orchestre d'ambiance pour aspirer en toute quiétude votre poison-maison.
Le groupe s'installe sur la scène à côté du bar, une petite foule quitte la cour ensoleillée pour les écouter. Banjo, contrebasse, percussion, guitare et chant. Dommage la sono nous offrait Bo Diddley et Muddy Waters, la relève risque d'être difficile... Se débrouillent bien en leur style, un peu plus rugueux que Julien Clerc et plus sérieux que Dario Moreno. C'est sympa, le public apprécie, mais moi le caca-lypso à haute dose je n'ai rien contre mais à partir du moment où l'on réduit à un demi-cachet tous les deux ans. Mais là, je m'en enquille quinze d'un sel coup. En plus ils promettent de revenir entre les groupes, mais comment se fait-il qu'il existe tant de cruauté en ce bas monde ? Non je ne suis pas sectaire, la preuve, je n'aime que le rock'n'roll. Ce n'est tout de même pas de ma faute si sciemment je participe à l'injustice de ce monde. En tout cas, je sais au moins que pour mes prochaines vacances j'éviterai la vallée de la Loire.
Direction les enfers. Suffit de descendre les escaliers pour pénétrer le cube bétonné de la salle de concert, look spartiate de mini arène de ciment, je m'aperçois que toute une flopée de jeunes gens préfèrent les tempêtes de sable du désert aux oasis ensoleillées.
HOWLIN' JAWS
Les Howlin' sont là. Bons doctors Feelgood qui nous administrent un rock'n'roll shoot comme on n'en fait plus. Sont beaux comme des anges tant qu'ils restent immobiles, trois secondes et demie. Avant de déclencher l'apocalypse. Les Jaws plus anglais que jamais, bye-bye le rockab des familles, ne gardent de cette vieille poudre si facilement inflammable que l'habitude des solos qui ne durent pas plus de quinze secondes, autant dire que leur set est un entremêlement incessant de mini soli qui sans merci se font et se défont la nique et la niaque, à vouloir toujours prendre la place de tête, une mécanique de hautes précisions, il ne s'agit pas de garder la pôle position du début à la fin, mais au contraire de laisser passer en tête de course l'un des deux autres co-pilotes en lui offrant l'ouverture salvatrice par un magnifique dérapage contrôlé qui vous permet de brouter l'herbe des bas-côtés et d'entendre les pneus crisser sur les gravillons.
Contrebasse en travelingue et vocal à la déglingue Djivan Abkarian, batterie aux aguets et frappe instinctive Baptiste Léon, guitare en feu et visage enfiévré Lucas Humbert, trois chats enfermés depuis huit jour dans une carton exigus, sautent en l'air comme des diables et se mettent en chasse de la souris rock'n'roll, l'on sent que la bestiole va passer un mauvais quart d'heure, l'a beau courir de toutes ses pattes dans tous les coins à la vitesse d'un guépard, l'est sûr qu'ils ne vont pas tarder à la rattraper et à vous la déchirer en confettis de chair sanglante.
Le combo avance par giclées spermatozoïdales. Des bouffées de sperme de cachalot qui vous brouillent les neurones. Sont tous les trois partout à la fois. Indispensables. Des matelots qui courent dans la cale pour boucher les quatre-vingts voies d'eau mortelles qui condamnent le navire à couler lamentablement. Mais non, réussissent sans faille à colmater cent failles. Une musique de l'urgence. Rien n'est gagné d'avance. Ne pas perdre une miette. Guitare à l'emporte-pièce, batterie bouchon de champagne, contrebasse kahotique, vitesse d'exécution maximale, pas de répit pour Baptiste, un break à servir brûlant quand l'autre n'est pas encore fini, une ponctuation de guitare qui déboule comme par surprise et Djivan au chant qui presse le débit nitroglycérinique.
Célia Formica bondit au milieu de notre torchère, vêtue de gaze verte comme la nuit ou la jument de Marcel Aymé, qui retombe très haut sur ses jambes à la Marie Quant, pompons de mousse à l'endroit des poupous, chevelure d'un fauve qui tire sur le mauve, se démène des quatre jambes, l'est bien belle et mignonnettes, réussit le prodige de s'agiter sans vous ennuyer – elle reviendra par intermittence dans tous les autres sets – mais j'ai beau mettre des moufles pour ne pas passer pour un mufle, franchement très vite on l'oublie, les Jaws sont trop beaux, trop péremptoires, trop pétris d'attitudes définitives pour perdre du temps à la regarder. Semble superfétatoire, la cerise sur le clafoutis qui en regorge, Lucas ses cheveux blonds, ses mimiques de terreur chaque fois qu'il tronçonne une cascade de trois riffs explosifs – ce qui lui arrive toutes les cinq secondes – son ballet endiablé, ne fait plus qu'un avec sa guitare, à croire qu'il s'est planté le jack dans un cathéter censé drainer une maligne tumeur de son cerveau ravagé par un électrochoc continu, le corps agité des mêmes soubresauts instinctifs des condamnés à la chaise électrique, vous fait des sauts de requins hors de son aquarium dans le but avoué de croquer une dizaine de spectateurs ahuris, dans la salle c'est l'exultation à chacun de ces décochements, de ces décrochements de flèches phoniques dont il transperce le coeur de l'auditoire, Baptiste un mélange d'efficacité et de flegme éhonté, les compos sont si serrées qu'au moindre retard, c'est le vide assuré, le blanc, le trou noir, le silence dans la bande-son, la pellicule qui se coupe au moment où l'assassin lève son couteau pour égorger la jeune vierge innocente, mais non, l'est comme ses joueurs d'échecs qui ont trente-trois coups d'avance sur leurs adversaires, le deux ex-machina qui dénoue l'imbroglio, qui rétablit par miracle la situation, Djivan ne se prélasse pas sur le divan des commodités, alimente sa big-mama comme s'il jetait des briquettes dans le foyer d'une locomotive à vapeur qui assurerait la liaison New-York Los Angeles, sans arrêt, tender inépuisable et tension en courant continu. Le rock est sur le rail, Baptiste se charge des aiguillages et Lucas des déraillements et des attaques des peaux-rouges lors de la traversée des territoires sacrés du rock'n'roll.
Ne regardez pas dans la salle. Cyclone force 10. Lorsque les Howlin' s'arrêtent, ils n'ont pas remporté la victoire. Une de plus. Ils ont simplement convaincu le public que le rock'n'roll n'était pas mort.
BIG BOSS MAN
Big Boss Man. Inconnu au bataillon. J'en avais déduit à partir du seul nom reedien que c'était un groupe de blues. Des doutes quand ils ont trimballé sur le devant de la scène un pachyderme aussi encombrant qu'un bahut Louis XIII, un vrai, un vénérable orgue Hammond, un vétéran des sixties, donc tout faux. Un colosse herculéen noir – répond à la trop courte appellation de Des qui ne préfigure en rien sa gigantesque stature – arrive à se caser entre le mur et sa batterie qui du coup ressemble à un jouet de gamin. N'a pas saisi une baguette que déjà l'on a compris que la frappe sera lourde, onctueuse et grasse à souhait – aux petits oignions verts. Bongolian Nass, drapé dans sa veste d'officier s'assied derrière le clavier. Wah Wah Trev accroche sa guitare et The Haw Scott se saisit de sa basse. C'est parti pour une heure de soul.
Buste droit, rejeté en arrière, en des des raidissements qui sont comme autant de clins d'oeil à Ray Charles martyrise son appareil, puissamment, n'effleure pas une touche, en écrase sept ou huit avec la vigueur d'une patte d'éléphant qui s'appesantit sur le dôme d'une fourmilière cannibale, vous beurre la tartine en y empilant trois tablettes dessus, sans même retirer l'emballage, mais ce n'est pas assez, lui reste un trop plein d'énergie, alors il se lève et s'en va taper sur de pauvres percussions qui ne lui ont rien fait mais qui doivent penser que leur dernière heure est en train de sonner. Le genre de close-combat qui enchante Des, l'en remet sept ou huit couches sur sa caisse claire plus une vingtaine de dégelées sur le reste de la quincaillerie, en plus parfois ils s'énervent tous les deux et jouent à qui azimutera le premier le Titanic du groove. Z'a côté, les guitareux ne mouftent pas, l'on aurait tendance à les oublier, mais ce ne sont pas des manchots du bulbe rachidien, comparés aux Big Man ils bossent par en-dessous, mais double bosse comme le chameau, vous envoient le coussin d'air qui permet à l'air-craft de voler sur les eaux. Sont des malins, sur le dernier morceau ils saupoudreront d'un peu de funk mais rien de ce répétitif ennuyeux qui monotonise trop de formations ces temps-ci. Juste la gousse d'ail qui embaume le gigot ou celle de vanille qui apporte une haleine sucrée aux gumbos les plus saturés d'épices. Seule, la soul vous saoule.
Ça ne les empêche pas de rajouter en douce un peu de rock, leur Big Boss Man ressemble à s'y méprendre à une version organisée de Louie Louie, quant à leur Party 7 – si j'ai bon souvenir – regarde d'un peu trop près le Land of Thousand Dances version Pickett des hannetons. En tout cas dans la salle, c'est la joie, ça ondule gentiment et les applaudissement crépitent comme des mitraillettes. Enthousiasme général.
J'apprécie, rien à reprocher, leur Everybody Boogaloo est aussi entraînant qu'une ronde de zombies et de mongoliens atteints de délirium tremens, mais de la musique de danse, avant tout entertainment. L'on se croirait dans un club dans un quartier noir aux USA en 1967, mais il manque l'atmosphère de révolte fervique qui accompagnait le rising sun des Black Panthers... Font un tabac. L'on se presse autour du stand de disques. Sont sympas, vous refilent un Ep en plus... Une partie du public se retire après leur passage. Etait venu pour eux. Un peu de rock'n'roll en hors d'oeuvre, l'on veut bien supporter, mais pour le plat de consistance qui suit, l'on préfère décrocher. Sage précaution car le temps des Grys Grys approche.
LES GRYS - GRYS
J'espère que vous avez activé l'interdiction parentale sur votre ordinateur, que cette chronique ne tombe jamais sous les yeux de vos enfants, sans quoi leur avenir est perdu. Définitivement. En quelques minutes, vous ne les reconnaîtrez plus, traîneront tard dans la nuit en des bars louches, des bouges insalubres, s'adonneront à des activités musicales et extra-musicales – les plus dangereuses – dont je préfère ne pas vos égrener la liste afin que vos cheveux ne blanchissent en une seule nuit. Car les Grys - Grys sont sur scène et vous n'y pouvez plus rien.
Dès le début, un truc vous turlupine, quel est le rôle exact du cinquième homme, exilé sur notre gauche, ses camarades lui ont laissé un micro, c'est tout. L'arbore le profil du gosse malheureux auquel ses parents n'achètent pas de jouets, s'amuse avec ce qu'il ramasse par ci par là, l'est à terre, en train de rafistoler des maracas plus ou moins démantibulées, votre coeur se serre, vous le plaignez secrètement. Attendez pour voir. Estéban est au centre, imposant derrière sa batterie, une gueule patibulaire de gardien de cimetière, quand il cloue un cercueil le macchabée a intérêt à se tenir coi, sans quoi se prend un coup direct sur la gueule, le genre de souveraine médicamentation qui vous calme. Ressemble un peu à Bonham ce qui pour un batteur est assez prometteur. Bassiste blond et cheveux bouclés. La même chevelure pour le guitariste, mais nuance corbeau. L'a la Rickenbacker qui frétille. Vous laisse échapper de ces pétarades d'impatience à provoquer des avalanches. Un teigneux, un insatiable, vous lui montrez un riff et il défonce les portes du toril, l'est comme le taureau qui a envie d'encorner quatre ou cinq toreros en apéritif. Un look un peu dégingandé à la Cyril Jordan, la gratte en embuscade, notre maître-chanteur squatte le micro tel un indolent vautour qui surveille une charogne. N'ont pas encore commencé que l'on sent que la situation devient grave. Sombre pressentiment. Pire que ce que l'on imagine. Même moi je serai surpris. De ma faute. Je m'extasie bêtement aux premières notes de Milko Poor Boy vieille huile de vidange de garage faisandé, je m'esbaudis joyeusement sur I'm Ready, je grimpe sur mon petit nuage estampillé pure rock'n'roll, cent pour cent R'n'B, je suis ailleurs, je plane dans le fracas des dieux, les Grys - Grys dégainent le tonnerre de Zeus, je suis tout ouïe, je vole dans la tempête, je chevauche les éclairs qui tuent, je suis heureux. Ne l'ai pas vu venir. C'est de ma faute, je le répète. Le plus pitoyable des stratèges ne manque pas de se méfier. Faut surveiller ses arrières et moi je ne zieute que le combo. Un choc violent, mes genoux qui heurtent le devant de la scène, je me retourne, totalement ahuri. N'y a pas que sur moi que les Grys - Grys provoquent un effet mammouth, mais alors que je suis emporté jusqu'au septième ciel, le reste du public est atteint d'une folie aigüe, crise de nerf généralisée, tout le monde s'agite dans tous les sens, ça crue, ça hurle, ça tonitrue, ça se remue, ça se transmue en tohu-bohu, une houle de foule humaine force douze, vous ne savez plus s'il vaut mieux regarder la salle ou la scène, de toutes les manières des deux côtés c'est la même féérie. Un grand escogriffe bondit sur la scène et se rejette dans la fosse en un magnifique salto arrière, l'est rattrapé par miracle, promené à bout de bras puis jeté au sol sans ménagement. J'ai le temps de reconnaître Djivan. L'a suscité des vocations, la scène devient un lieu d'auto-catapultage, on se croirait sur un porte-avions en plein milieu de la bataille de Midway, vol libre et atterrissage catastrophe, sur scène ce s'est guère mieux. Les Grys - Grys sont des pousse-au-crime vous déverse du kérosène sur l'incendie, Hot Wind, You Mistreat Me, Got Love, aucune envie de modérer la situation, en ce moment ne sont plus sur scène, les deux guitaristes traîne dans la salle, et l'autre le gamin, je le cherche sans le voir, trompe bien son monde, l'est juché sur les baffles, agite ses maracas rouges comme s'il venait de castrer un étalon, saute, revient vers le micro, se plante un harmonica dans la bouche comme s'il fumait un Davidoff Oro Blanco, souffle hors des trous tout en passant le manche de sa percu le long du clavier tout fier comme s'il était en train d'inventer la manière de jouer de l'harmo en slide, plus tard sera allongé et tapera frénétiquement sur le plancher un tambourin qui ne sait plus ce qui lui arrive. Nous non plus. La salle est devenue un ring de massage corporel généralisé, des masses humaines s'abattent sur vous venues d'ailleurs, vous télescopent avant de reprendre leur orbite désordonnée comme des comètes folles, un lit de mains tendues appellent le guitariste, le voici couché sur ces paumes ferventes qui le transportent tandis qu'il continue son solo, à croire qu'il se balance mollement dans un hamac entre deux palmiers, il pleut de la bière et le chanteur en profite pour nous verser des bouteilles d'eau sur la tête. C'est fini. Non, ils reprennent leurs instruments, ils en veulent encore, Q 65, Thor's Hammer, You Said, le bassiste a perdu une corde, et le public la raison. Des tueurs. Des sadiques. Incapables de s'arrêter. Folie pure. Une gig gigantesque, dantesque, rock'n'rollesque.
DRING ! DRING !
Le téléphone pleure.
- Allo, ici l'ALCBK, l'Amicale des Lecteurs Catholiques du Blog Kr'tnt !
- Super, le club cahotique, je ne savais pas qu'il existait ! Je vous félicite !
- Non ca-Tho-li–ques ! Nous venons voir si vous avez honoré votre promesse de cierge à Marie, notre Sainte Mère de Dieu.
Ah, bien non, au dernier moment je me suis ravisé, j'ai préféré douze grandes libations de Tennessee Jack aux douze Olympiens, et pour être sûr de n'avoir oublié personne par acquis de conscience j'en ai rajouté trois en l'honneur d'Alexandre le Grand, de Julien l'Apostat et du divin Néron.
- Damie, songez à votre âme de rocker pénitent, nous craignons que vous ne soyez perdu !
- Que la paix stérile du Seigneur continue à vous emberlificoter mes bonnes soeurs, n'ayez crainte le rock'n'roll m'a déjà pardonné ! »
Damie Chad.
THE WHO
LE GROUPE MOD
PHILIPPE MARGOTIN
( Editions de la Lagune )
Philippe Margotin nous raconte la saga des Who. Je n'ai pas dit la survie des Who, même pas cinq pages pour les vingt années – le bouquin date de 2007 - qui suivirent la mort de Keith Moon. Un livre qui vise à l'essentiel, bien fait, documenté, et qui se révèlera être pour un jeune lecteur qui n'aura pas connu la fabuleuse époque de la british explosion une parfaite introduction à l'un de ses groupes les plus symboliques. Les Who sont un scotch double à double-face. Sont comme ces rouleaux qui par n'importe quel bout que vous tentez de les prendre vous collent aux mains et dont il est impossible de se défaire. Tour à tour, et en même temps, citronnade vitriolée et orangeade sanguine. Ultra-rock et infra-intello. Brutal et intuitif. Des mousquetaires qui ne s'embarrassent guère d'une chaude camaraderie, chacun pour soi quand ils sont sur scène et tous contre les autres quand ils sont en studio. Ces rapports humains peuvent surprendre mais les Beatles de Hambourg et les Rolling Stones de toujours ont connu à des stades diversement avancés de semblables émulsions.
DU ROCK'N'ROLL AU RHYTHM'N'BLUES
Pete Townshend, John Entwistle et Roger Daltrey se rencontrent dans le même collège de Chiswick, nous cataloguerons les deux premiers parmi les grands timides, qui se soigne et fait des efforts pour Townshend, définitivement invétéré et introverti pour Entwistle, le troisième c'est déjà le premier trublion, la boule dans le jeu de quilles – en attendant que ne débarque ce chien fou de Keith Moon – Daltrey c'est le prolo égaré dans la toute petite bourgeoisie. Ses deux camarades n'ont pas grand chose de plus dans le porte-feuille des parents mais des idées par milliers fermentent dans leur caboche. La seule richesse de Daltrey est instinctive. Certains jouent en bourse, mais Daltrey saura toujours placer sa voix au bon endroit, dans les plus fines harmoniques comme dans les plus chaotiques chevauchées. L'est capable de tout, des plus grandes fureurs et des plus suaves douceurs. Un éventail versatile qui se prêtera à tous les vents contraires de ses compagnons. Même aux ouragans tumultueux de Keith.
C'est que nos quatre matelots ont du souci à se faire. Naviguent en mers inconnues. Ne sont pas les seuls. La jeunesse anglaise se cherche, en trois ans les évolutions vont brûler les étapes. L'apparition des Beatles indique le premier cap. Minimum rock'n'roll. Le rock ou rien d'autre. Parfait pour nos lascars. Viennent de là. Buddy Holly, Eddie Cochran, Gene Vincent, ils connaissent par coeur. Z'ont taquiné le jazz-trad, caressé le skiffle, joué du banjo, gratté des guitares shadowiennes, bref sont arrivés à cette conclusion que pour calmer leurs impatiences adolescentes le bon vieux rock'n'roll était le meilleur antidote à la sinistrose sociale. A part que les Beatles ils apportaient un son différent, plus rapide, plus enthousiasmant, ne faisaient pas de la copie conforme, osaient s'éloigner des maîtres. Un malheur n'arrive jamais seul, voici les Rolling Stones, jouent un blues plus noir que bleu. Ne se perdent pas en plaintives jérémiades, le blues ils l'ont survitaminé à l'aide d'écoutes forcenées de Muddy Waters de Chuck Berry, de Bo Diddley, ce n'est plus du blues, mais du rhythm'n'blues. Ils ont déniché le truc. Plus méchant que les Beatles. Mais il leur manque la formule. Les Who la trouveront, résolvent l'équation en deux mots magiques qu'ils inscriront sur leurs affiches : Maximum Rhythm'n'blues.
Faut être honnête le slogan n'est pas d'eux mais de leur command-staff, Kit Lambers et Chris Stamp, car Londres grouille de jeunes loups aux dents aussi longues que des sabres d'abordage, ceux qui ne savent pas tenir une guitare s'inventent des boulots d'hommes de l'ombre, avancent un peu de blé ou s'improvisent imprésarios, directeurs, tourneurs... C'est qu'en deux ans le ciel s'est dégagé, adieu aux rockers, bienvenue dans le monde des mods. Les jeunes gens de ces temps-là sont définitivement modernes, aiment la sape pas flashante mais qui vous différencie, roulent en scooter et écoutent du R'n'B !
Les Who seront mods ou ne seront pas. Pas d'alternative ! Ils le seront. Daltrey rocker dans l'âme râle, mais en silence, la fièvre des concerts, le succès qui pointe le bout de ses effluves, l'argent facile qui n'a pas d'odeur, sont de solides et trébuchant arguments...
MUSIQUE
Une véritable révolution culturelle agite Londres, l'Angleterre, gagne les rivages européens et met les pieds dans le plat la mythique Amérique, les Who en sont l'un des principaux fers de lance. Pour le moment ils ne se posent pas trop de question. Foncent dans le tas sans retenue. Concerts tous azimuts. Maximum flamboyance. Son énorme, micro tournoyant, guitare stridente, batterie écumante, basse grondante, moulinets de bras, sauts en hauteur, rituel de la guitare fracassée, les Who empochent à chaque fois la mise. D'autant plus que Townshend qui s'agite sur scène comme un diable échappé des souterrains infernaux réussit un coup de génie. Compose un morceau philosophique. Plus question de raconter comment vous prenez la main de votre petite copine, parle au nom de toute sa Generation, mal-être, colère, frustration, rajoutez la violence sonique d'un combo lancé à fond et vous obtenez l'élixir de venin de crotale en moins de trois minutes. Beaucoup plus virulent et moins ennuyeux qu'un bouquin de Kierkegaard...
L'EPISODE MEHER BABA
De quoi rester baba. Avec ou sans rhum. Meher ne se prenait pas pour la moitié d'un cageot de moules-frites avariées. S'était déclaré lui-même l'avatar de son époque. Même si cela vous semble une pitrerie ne confondez pas avec Achille Zavatta. L'avatar ce n'est ni plus ni même que dieu en personne qui s'en vient faire un petit tour sur notre terre. Grosso modo une fois tous les dix siècles. Pas très fatigant comme boulot. Surtout qu'il ne se donnait même pas la peine de parler. Communiquait avec l'aide de l'alphabet ou par signes. Message brumeux. Abstenez-vous de faire de mauvaises actions qui retarderaient le moment où votre âme rejoindra le grand tout divin. L'a tout de même réalisé un miracle : l'a réussi à regrouper autour de lui des centaines de disciples en Inde, aux Etats-Unis où il voyagea par deux fois, et un peu partout dans le monde... L'était né en 1894 et se rendit célèbre auprès de la jeunesse hippie d'obédience orientalisante en 1967 en la mettant en garde contre les drogues. Non le LSD n'était pas un starway to heaven vers le nirvana ! Comme toujours les prescriptions divines furent mal interprétées, la jeunesse occidentale reconnut la sage sainteté de Baba mais continua allègrement à gober ses pastilles valda multicolores sans défaillir. Faut dire que si son message avait été reçu cinq sur cinq c'est qu'il était dans l'air du temps, l'on connaît les déboires des Beatles partis en colonie de vacances auprès du Maharishi Mahesh Yogi qui se termina abruptement le jour où le saint homme entreprit de pénétrer de force dans le temple vulvaire de Mia Farrow. Cela ne se fait pas certes, toutefois cette tentative effractive reste la preuve indubitable que des années de méditation transcendantale avait permis au saint homme pétri d'une infinie sagesse d'accéder aux portes édéniques de la beauté souveraine.
A notre connaissance Meher Baba ne devait pas être aussi avancé sur les chemins de la beauté divine puisque l'on ne relate aucune tentative tantrique de ce type dans les deux années qui suivirent et au bout desquelles il regagna - aidés par les séquelles de deux anciens accidents de voiture - ses pénates, en mourant stupidement, comme tout un chacun. Quoique ses biographes ne s'étendent guère sur ce stage d'initiation ( d'union yogique avec le divin ) réservé aux femmes occidentale dans les années trente durant lequel il organisa une tournée en autocar, dénommé le Blue Bus Tour qui nous semble prémonitoire du Magic Bus des Who... Quoi qu'il en soit Pete Townshend n'a jamais remis en question l'influence bénéfique de la vision - qu'il faut bien qualifier d'intermittente – de cette paix de l'âme qui lui aurait été dévoilée lors d'un entretien avec le dernier messie en date...
EXPLOSION MENTALE
L' épisode Baba survenu en 1967 n'est pas dû au hasard. Tout est allé trop vite. En deux ans nos jeunes gens sont devenus des stars. L'argent, les filles, l'alcool, les excitants divers et les émollients variés coulent à flots, la fatigue des concerts, les tournées en Amérique, tout cela vous rétame un individu en cinq sept. Vous êtes happés dans un tourbillon, au début vous prenez votre pied, à la fin cela devient harassant, et pire que tout cette impression de ne plus avoir de temps à vous, de ne plus rien contrôler, de ne plus avoir le loisir de vous poser dans un coin et de faire le point, dans votre tête...
D'abord autour de vous dans votre musique. Les Who c'est en même temps maximum de sauvagerie – sur scène n'en parlons pas, c'est carrément les hordes d'Attila – et dans le même panier-repas maximum mélodique. Prenez des morceaux comme Picture of Lily, Anyway, Anyhow, Anywhere..., I Can See For Miles, certes ça défile vite, ça pulse fort, mais selon une ligne mélodique qui doit bien vouloir signifier autre chose... Maintenant Townshend se livre à une introspection généralisée, certes ses paroles décrivent bien attitudes et perversions individuelles induites par l'état de la société, mais n'y aurait-il pas là-dessous l'expression d'un drame personnel et encore plus, n'hésitons pas à employer les grands mots, d'une réalité quasi-métaphysique de la condition humaine ?
Jusqu'à lors les Who n'ont fait que s'amuser comme des gamins excités d'attraper toutes les conneries qui s'offraient à eux, peut-être serait-il temps de passer à quelque chose de plus sérieux. Le rock ne mérite-t-il pas mieux que quelques bijoux pop et toc ? De la pacotille quand il compare ces premières pépites au rêve grandiose de l'oeuvre magistrale dont il rêve.
OPERA ROCK
De toutes ces intenses cogitations sortiront Tommy. N'ai pas osé le retirer de mes cartons pour le réécouter avant d'écrire cette chronique. La peur d'être déçu. De ne pouvoir me remettre dans la peau de mes dix-huit ans lorsque j'ai entendu à la radio les Who l'interpréter en Live en Angleterre, sacré moment. La frousse de n'y trouver qu'une énorme boursoufflure des plus regrettables. En tout cas à l'époque ce fut un choc, les Who s'imposaient comme novateurs. Donnaient ses lettres de noblesse au rock'n'roll, l'inscrivaient parmi les arts majeurs. Et pour qu'il n'y ait point de réclamation au guichet sortait l'année suivante, le Live at Leeds – la version CD vous double le concert – ce n'est pas un enregistrement public parmi tant d'autres mais un magistral coup de cravache sur la croupe du rock'n'roll pur-sang, un déluge métallique qui portait en lui les germinations futures du hard rock.
N'empêche que Tommy n'est guère joyeux. Autisme, perversions sexuelles, solitudes, sont ses thématiques principales, un disque noir, à l'opposé du rêve lysergique californien, une errance éperdue dans une continuelle remontée des traumatismes incapacitants de l'enfance, l'affirmation de l'engluement de l'esprit en soi-même, pire que le no future à venir des punks, Tommy c'est le présent impossible.
THE LAST BUT NOT THE LEAST
Townshend sera la première victime de sa créature. Docteur Pete a créé son Frankenstein, ne le tuera point, fera comme l'ours qui ne touche pas aux abeilles mais qui se délecte des rayons du miel. Le monstre lui sucera les neurones de son génie créateur. Au début il parviendra à cacher sa stérilité indécisive. L'a encore de beaux restes. Sur Who's Next il possède quelques ingrédients de choc dans son sac secret, lui qui depuis quelques temps bricole de petites trouvailles musicales sur ses ordinateurs se déchaîne durant l'enregistrement. Fignole le son, fait entendre des masses de pianotements subsidiaires qui apparaissent comme totalement nouveaux et téméraires. Et comme chacun de ses acolytes donne le meilleur de lui-même l'album est considéré comme un chef d'oeuvre.
Il aimerait créer un autre Tommy, mais le projet mirifique, Lifehouse, auquel il consacre des mois et des mois de travail, par trop ambitieux, n'aboutira point, toutefois notre creator-man sera sauvé par ses fondamentaux existentiels, Quadrophenia sera le résultat de ce retour vers les années fastueuses de sa jeunesse mod, le double album se présente comme l'épopée électrique d'un jeune mod passant par tous les rituels qui permettent d'accéder au stade - non pas adulte ce qui équivaudrait à un reniement anal régressif – mais de l'affirmation de soi... Ce sera le dernier coup d'éclat des Who...
THE LEAST
Me souviens des copains fans des Who qui essayaient de défendre leur groupe favori en jetant des coups d'oeil réprobateurs sur Odds and Sods et By Numbers, certes il y a du bon disaient-ils en hochant la tête, la défense manquait de conviction, pour Who Are You, la conversation abordait d'autres sujets...
C'est Keith Moon qui un soir de septembre 1978 mit fin le point final à l'anabase. Encore plus fort et plus idiot que les chiottes qu'il prenait plaisir à dynamiter dans les hôtels. Ne s'est pas réveillé. Ne trouvant pas le sommeil, il avait dépassé la dose sédative prescrite... L'erreur fatale est humaine. Keith le plus facétieux réussit ainsi à fracturer à son insu l'issue de secours, celle qui vous permet de ne pas vieillir et de rester éternellement jeune. Cette porte dérobée au pied de laquelle laquelle Pete Townshend l'intello éternel gratte depuis un demi-siècle en douce, comme ces chats méditatifs qui sur le seuil pluvieux hésitent, et finissent par renoncer à quitter la maison de peur de se mouiller les pattes.
Une triste histoire quand on y songe, mais la splendeur des débuts vous oblige à en réécouter les échos les plus fougueux.
Damie Chad.
12:09 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jim jones, the infernal, that'5 all, howlin' jaws, big boss man, les grys-grys, the who
15/02/2017
KR'TNT ! ¤ 316 : STOOGES / KING MUD / FOBY / HOWLIN' JAWS / ANGE-MATHIEU MEZZADRI
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 316
A ROCKLIT PRODUCTION
16 / 02 / 2017
STOOGES / FOBY / MUD KING / HOWLIN'JAWS ANGE-MATHIEU MEZZADRI |
stoog by me
— T’es pas allé voir le film de Jarmush sur les Stooges ?
— Si...
— Mais j’t’ai pas vu dans la salle !
— Suis arrivé à la bourre. J’avais pas trop envie de palabrer avant... Les Stooges, ça a toujours été un truc à part. Les potes avec lesquels j’écoutais ça ado sont morts, tiens, comme Dave Alexander. Picolaient trop. Alors maintenant, c’est compliqué d’en parler avec des gens que tu connais mal.
— Et t’en penses quoi du film de Jarmush ?
— Oh je sais pas quoi te dire. Le truc qui me gêne, c’est d’être assis dans une belle salle de cinéma confortable pour voir des miettes de Stooges. Le chaos, ça ne se marie pas très bien avec le confort d’une salle de cinéma de province, si tu vois ce que je veux dire. J’aurais préféré une salle pourrie comme celle de Mocky à la sortie du passage Brady, t’as des kleenex par terre et des taches de sperme sur le fauteuil devant toi. Là d’accord, on renoue avec une certaine cohérence. J’adore la cohérence, tu vois. C’est même ce que je préfère dans la vie. Si t’es pas cohérent, poto, t’es marron ! Tu me suis ? À voir ta mine, ça n’a pas l’air... Mais bon, pour revenir à tes moutons, on regarde quand même ce putain de film, parce que tous les gens qu’on y voit parlent d’un truc qui nous intéresse au plus haut point : les Stooges ! Eh oui, j’ai l’impression de rabâcher un vieux discours, mais pour des mecs comme moi, les Stooges, c’est la base, bien plus que les Stones ou tous les autres groupes. Même si t’as démarré dans ta vie de rocker de banlieue avec Jerry Lee, eh bien figure-toi que les Stooges ont remis tous les compteurs à zéro, et tout, écoute bien ce que je te dis, tout est reparti de là. Tout ! C’est à ma connaissance le seul groupe qui a été capable de démarrer avec un monster blast comme «1969». Dès le premier single, t’étais baisé. Fait comme un rat. T’avais beau blablater ah oui, blih-blah-blah Brian Jones, blih-blah-blah Charlie Feathers, blih-blah-blah Muddy Waters, t’étais rattrapé par le groove animal de «1969» et son all across the USA, et t’étais hanté par cette voix qui te rentrait sous la peau et aussi par ce riff définitif que tu rejouais sans fin sur ta petite guitare de merde, et t’avais vraiment l’impression de recommencer à vivre, mais pour de vrai, dans chaque instant de la seconde où ça se passait, tu sentais l’énergie du solo couler dans tes veines, et tu te disais, tu sais comme tu le fais parfois en t’interdisant de tricher, tu te disais : ah oui, ce truc-là, c’est vraiment fait pour moi, comme tu pourrais le dire d’une gonzesse. Tu vois, ce que j’essaie de te dire c’est que les Stooges, poto, ce n’est pas un documentaire, c’est complètement autre chose, il s’agit d’un truc qui se situe à un autre niveau, c’est l’essence même d’un style de vie qu’on choisit de vivre, et tu vois, t’es pas obligé de mettre un collier de chien comme Iggy ou de sortir ta bite à toutes les occasions, mais chaque fois que tu mettras le premier album des Stooges sur ta platine, tu mettras le volume à fond, et si t’as un peu de chance, tu rencontreras des mecs qui pensent exactement la même chose, pour qui les Stooges en 1969, c’est devenu le modèle absolu, des mecs qui préfèrent mettre leur santé en danger plutôt que d’aller travailler dans une banque ou chez un notaire, tu vois ce que je veux dire ?
— Oui, bien sûr. Mais tous les fans de rock font comme toi, ils tombent dans des excès de langage comme tu le fais. Ce que tu dis n’a strictement rien d’original. Tu as quand même bien une opinion sur le film de Jarmush ?
— J’ai trouvé ça trop déséquilibré. Trop de parlote et pas assez de musique. Pour moi, le film rock parfait, c’est Woodstock. Tu vois les Who et Sly Stone en entier et aucun putain de réalisateur n’arrive avec des ciseaux pour charcuter Sly Stone ou Pete Townshend sur scène. Tu as le cut en entier, c’est comme si tu avais assisté au concert. À mon sens, l’essentiel quand tu fais un film musical, c’est de respecter l’artiste, et donc tu évites de le charcuter quand il joue un morceau. L’abruti qui a fait Wattstax a osé charcuter les Staple Singers et les Bar-Kays, tu te rends compte ? C’est insupportable ! J’éprouve une haine incommensurable envers les charcuteurs du cinéma. Et là, Jarmush a charcuté les Stooges comme un vrai psychopathe, même dans les plans de la reformation, t’as à peine trente seconde des Stooges reformés, et bien pire, t’as presque pas de Ron Asheton qui est quand même l’âme du groupe, putain, même Jarmush semble l’oublier, Ron traite d’égal à égal avec Iggy dans cette histoire, Ron Asheton, c’est pas un gadget avec des croix de fer, un truc qu’on sort au bout de 45 minutes comme un simple témoin, tu comprends, c’est lui le point de départ, sans les riffs, t’as pas Wanna Be Your Dog, t’as pas No Fun, t’as rien ! Que dalle ! Bon d’accord, le bon côté des choses, c’est qu’on voit Iggy en grand sur un écran de cinéma, à 70 piges il a toujours cette classe infernale. C’est très impressionnant ! Dans une interview il disait qu’il s’en sortait plutôt bien : I’m not bald, I’m not fat, eh oui, ça fait toute la différence avec les gros pépères chauves qu’on voit revenir ici et là, mais en plus, Iggy est marrant, il ne dit jamais les choses avec malveillance, il est incapable de la moindre aigreur, tout ça parce qu’il a cet état d’esprit moderne qui lui a permis de faire les Stooges, tu comprends, si tu veux faire un groupe avec un son aussi hors normes que celui des Stooges, t’as intérêt d’avoir un certain état d’esprit, d’une part, et d’autre part, t’as intérêt à rencontrer les bonnes personnes. Quand tu vois Iggy assis dans son fauteuil, il te fait penser à un vieux pote en qui tu as une confiance totale, parce que tu le connais et tu le sais incapable de la moindre enculerie, je ne dis pas ça pour toi, amigo, je te parle d’Iggy et de ce qu’il inspire, tu vois, il a toujours une sorte de sourire en coin, et ça, c’est révélateur. C’est un signe physiologique, c’est à ça qu’on reconnaît les esprits farceurs, c’est-à-dire les gens qui préfèrent rigoler plutôt que de prendre les choses trop au sérieux, il a cette légèreté, cette belle insoutenable légèreté de l’être chère à Kundera, et tu comprends pourquoi il est encore là aujourd’hui, cinquante ans après ses débuts, avec cette voix de crooner des Caraïbes et cette dégaine de vieux dandy de Motor City. Voilà, pour te répondre, c’est le seul intérêt que je retire de ce documentaire : voir Iggy raconter une histoire, et là, c’est bien, parce qu’il raconte celle des Stooges. Mais on la connaît par cœur, cette histoire. Tu ne vas quand même pas me dire que ce film t’a appris des choses ?
— Si, pas mal de choses, les histoires avec le label Elektra...
— Mais mon con joli, c’est vieux comme Hérode ! T’avais déjà tout ça dans Creem, le canard de Detroit, et t’as au moins trois bouquins vachement bien foutus sur les Stooges et hyper documentés. Mais c’est vrai que le docu rendra service à ceux qui ne lisent pas. D’autant plus que les bouquins dont je te parle ne sont même pas traduits en Français, donc c’est cuit aux patates. Mais tu vois, pour revenir au film, j’aurais préféré un Woodstock avec les Stooges et le MC5, c’est la meilleure façon de restituer l’énorme impact qu’ont eu ces deux groupes sur tout ce qui a suivi, et notamment en Angleterre. Sans eux, pas de Pistols, pas de Damned, donc rien du tout. Les Anglais auraient sans doute continué de bouffer du Pink Floyd ! Au fond, et pour te dire les choses franchement, je ne suis pas convaincu que ce film puisse vraiment servir la légende des Stooges. Il manque un truc de base : la démesure. Tu vois, avec Metallic KO et Telluric Chaos, Skydog a mieux servi la légende des Stooges que Jarmush avec son documentaire.
— Si ça manque d’archives cinématographiques, c’est parce qu’elles sont bloquées pour des questions de droits, à ce qu’on dit. Wayne Kramer disait dans une interview qu’il venait de voir des rushes extraordinaires d’un film sur le MC5 qui est lui aussi bloqué pour des questions de droits.
— Ben dis donc, camarade, heureusement que les Stooges n’étaient pas bloqués pour des questions de droits, parce qu’on serait tous obligé d’écouter les Cars et ton copain Stong ! Tu te rends compte des conneries que tu peux débiter ? On s’en branle qu’il y ait des problèmes de droits ou de pas de droits, tu comprends, on voit une affiche avec écrit en gros Gimme Danger et en dessous tu vois Iggy à l’époque de Metallic KO, alors ? Ben alors on s’attend au meilleur film de rock de tous les temps ! C’est quand même pas compliqué à comprendre ! Là, t’as tout juste un docu pour Arte. Avant j’aimais bien Jarmush, parce qu’il avait filmé Screamin’ Jay Hawkins dans un hôtel de Memphis et ça avait de la gueule. Maintenant, je le mets dans le même sac que les charcuteurs. Il aurait pu au moins nous laisser le No Fun de la reformation en entier, putain, le son commençait à faire vibrer le sol et tu sentais les vieilles énergies remonter par les bottes ! Putain, tu renouais avec la clameur du set au Zénith, quand des milliers de cervelles tombaient dans l’escarcelle magique des Stooges, et là t’avais un vrai truc, une revanche sur le temps, les Stooges revenaient en vainqueurs, enfin, tout ce que je te dis, ça ne sert à tien, la réalité reste la réalité, elle est incapable de faire autre chose que d’être la putain de réalité. On ne revivra le set des Stooges au Zénith que dans nos souvenirs. Tu vois, tout ce que j’espère, c’est que des gens qui ne les connaissent pas et qui verront ce film à la télé auront envie d’écouter leurs disques ! Tiens, il y a même un vieux dans le cinéma qui m’a interpellé à la fin du film pour me dire : «Oh ça donne envie de réécouter leurs albums !». Pas mal le vieux, hein ?
Signé : Cazengler, le stoo-venant
Gimme Danger. Omnia. Rouen (76). 25 janvier 2017
Jim Jarmush. Gimme Danger. 2016
GIMME DANGER
JIM JARMUSH
( DOCUMENTAIRE / 2017 )
Non, je ne connais pas, cela ne me dit rien. Mais comme c'était un employé gentil, l'est allé chercher le directeur. Lui, il en avait entendu parler. M'a regardé comme si j'étais un fou furieux échappé de l'asile. Ah ! Le film avec ce groupe de rock très spécial ! Me suis senti obligé de temporiser ce jugement de valeur par trop approximatif, les Stooges, un des meilleurs groupes de rock'n'roll in the world ! Oui, oui, peut-être – règle d'or du commerce ne jamais contrarier un client – très spécial, nous ne le passerons pas ici, Provins n'a pas la clientèle, vous le trouverez sur Paris, mais dépêchez-vous, l'est en première semaine, en France, il ne restera pas longtemps, n'y a pas de public pour ce genre de groupe très, comment dire, spécial.
J'ai bondi dans la teuf-teuf et en route à la recherche de l'Iguane. Pas eu besoin de galoper jusqu'aux Galapagos, l'était encore à l'affiche, dans trois cinoches. N'avait pas tort le dirlo, relégué dans la petite salle, soixante-cinq fauteuils inoccupés, quinze quidams éparpillés sur les sièges.
Voudrais pas avoir l'air de l'éternel râleur, emmenez votre petite nièce voir un dessin animé, la moindre coccinelle qui se hasarde sur une brindille, vous avez l'impression qu'on déracine un séquoia au bout de la rangée. Je me disais, ah ! Les Stooges, ça va cracher dans les enceintes. L'on en ressortira la gueule arrachée, les tympans troués, les esgourdes saignantes. Avec un peu de chance quand je traverserai la rue avec mes oreilles sifflantes je n'entendrai même pas la voiture qui m'écrasera, voir les Stooges et mourir, que pourrait-il m'arriver de mieux dans ma vie ! Une véritable fin digne d'un rocker ! Eh ! Bien non, niveau sonore, le Jarmush il a dû embaucher le sonorisateur de la biopic sur Dalida, le gars ne s'est pas fatigué l'a équalisé sur tous les extraits, les paroles comme les concerts. Ça ne ronronne pas plus fort que la machine à laver remisée au sous-sol. Question son, Jarmush is not too much.
Questions images ? L'a récupéré ce qu'il a pu trouver. Pas mal de photos, quelques vidéos d'époque, les émissions télé, l'a tout découpé et l'a remonté le puzzle à sa manière. L'a tenu à ce que le spectateur ne se perde pas dans le kaléidoscope, l'a donc déroulé l'histoire dans l'ordre chronologique. Pour les pièces manquantes quand il a eu des trous noirs l'a adopté la technique de La Panthère Rose ou de La Grande Escroquerie du rock'n'roll, le dessin-animé sommaire qui permet de reconstituer en pointillés les chaînons manquants.
Un bon point. A cerné ses sujets. N'a pas interviewé le voisin de la belle-soeur du concierge de l'immeuble d'en face qui a vu les Stooges débarquer au studio en un état indescriptible. Même pas les témoins du deuxième cercle. Remarquez l'aurait eu un peu de mal. Cinquante après, l'aurait dû faire la tournée des cimetières. L'a concentré ses efforts sur les protagonistes eux-mêmes. N'en reste qu'un. Iggy l'immortel. Pour les autres n'a pas utilisé la technique des tables tournantes, l'a repris des interviews récapitulatives de leur carrière réalisées après la reformation de 2002, avant qu'ils n'aient la mauvaise idée de passer la guitare ou les baguettes à gauche. Cela vous a un petit air reportage d'Arte, Eric Burdon sur son canapé qui vous conte le swinging London ou les hippies d'Amérique. Je n'ai rien contre les canapés, mais enfin ce n'est pas un meuble très rock'n'roll.
Quoi qui disent ? Rien d'intéressant pour les vieux briscards qui suivent les Stooges depuis leur premier album. Connaissent déjà toute la saga. Par contre pour ceux qui arrivent frais comme des bébés-Cadum, ils engrangeront la totale. Z'oui mais encore ? Deux constatations, aucune nostalgie, aucune animosité dans leurs propos. Ne sont pas là à nous déblatérer le pathos. Pas pleurnicheurs pour un sou. Zéro Calimero. Ne sont pas des teckels aux yeux humides qui agitent la queue et qui font les beaux pour qu'on leur octroie le susucre de la pitié. Les Stooges ne mendient pas. Ne se la jouent pas non plus à la rock'n'roll star, coucou on était les plus beaux, on était les meilleurs. N'usent même pas de l'insupportable fausse modestie. Racontent simplement, ne se vantent de rien. Rapportent les faits. Tels qu'ils les ont vécus. N'avaient pas l'impression d'accomplir des exploits impérissables. Se sont contentés d'être ce qu'ils étaient et de faire les choses comme ils pensaient qu'ils devaient les faire.
Ont tout sorti d'eux-mêmes. Leur grande force. Ont commencé comme tout le monde par former un groupe au lycée. Et puis ils ont continué. Des cabours qui n'en faisaient qu'à leur tête. Mais sans œillères. Les oreilles aux aguets. Z'écoutaient les disques de l'époque, plus un plein de blues et du jazz. Pas le style ou le genre qui les intéressait. Plutôt la pâte sonore, le traitement du son. Se sont focalisés sur leurs instruments, n'étaient pas des virtuoses, se sont motivés, dix mille fois sur l'ouvrage ils ont remis le riff jusqu'à ce peu à peu la mayonnaise prenne. Idem pour Iggy, l'avait une belle voix, mais ça ne suffit pas. L'aurait pu singer Elvis et chantonner n'importe quelle babiole, non l'a fondue dans la musique, contrairement à ce que l'on croit, le bijou scintille encore plus fort dans la noirceur de l'écrin que sur la poitrine des femmes.
N'étaient pas les seuls à l'époque, même que le Velvet Underground les avait déjà précédés sur la pente sauvage de la musique, et surtout le MC 5 qui avait réalisé les essais moteurs plus que satisfaisants. Oui mais la meute du Lou était un peu trop arty, et les mécanos de Détroit un peu trop politiques. Les Stooges n'étaient rien de tout cela, les belles idées leur passaient un peu au-dessus de la tête. Pas assez branchés, trop bruts de décoffrage. Ne comptaient que sur leur propres forces. Le rock and roll et rien d'autre. Aucun additif. Aucun complément alimentaire.
La postérité leur a rendu raison. Jarmush déroule une impressionnante série de pochettes de groupes ultérieurs qui ont sinon revendiqué l'héritage du moins paré au plus pressé en reprenant ( en tentant de reprendre ) leur son si caractéristique. Vite, fort et violent. Des Sex Pistols aux Dictators, des Ramones aux Vibrators, des centaines de combos qui se sont précipités dans cette manière hardcore de jouer. Cet art de vomir son énergie sur scène. Les Stooges ce serait plutôt l'art de rendre l'âme. Autrement dit un engagement corps et esprit, métaphysique physique. Les Pistols ont cru nous atterrer. Nous ont refait le coup nietzschéen de l'annonce de la mort de Dieu. Pas de futur pour le rock'n'roll ont-ils proclamé haut et fort. Pas de panique. Les Stooges nous avaient assuré que ce n'était pas grave car le rock'n'roll se mouvait dans l'éternelle présence de sa propre démesure.
Jeu dangereux. L'on ne chevauche pas le tigre impunément. Soit vous faites peur aux commensaux qui au début vous trouvaient sympathiques, soit l'accariâtre bestiole se retourne et vous mord. A mort. Les Stooges auront droit aux deux solutions. Les maisons de disques qui se débarrassent au plus vite de cette machine de guerre incontrôlable. Et qui surtout ne rapporte guère de cash. Les serpents de la drogue qui s'enroulent autour de vous, ce n'est point pour vous apporter la chaleur humaine qui vous manque, au contraire pompent la vôtre et vous laissent sans force. K.O. Mais Metallic. Z'auraient quand même pu préciser que c'est Marc I wanna be your Skydog Zermati qui sortira le disque en notre douce France. L'Amérique ne voulaient plus de ces lansquenets jusqu'au boutistes du rock. S'étaient d'abord retrouvés en Angleterre - les mêmes tribulations dix ans plus tard que Gene Vincent et Eddie Cochran – invités par Bowie et abandonnés par Defries, et puis Iggy sauvé in-extremis sur notre terre d'asile idéologicrock nationale. Juste un tremplin, mais arrivé au bon moment, qui lui permettra d'assurer une continuité et de rebondir.
L'Iguane est devenue une icône. Sans sa survie nous n'aurions pas eu ce film. Parle pour les autres. N'en tire aucune gloriole. Evite les discours et les médailles de l'ancien combattant. Ne revendique aucun privilège. Ne gomme rien, et ne surligne rien. Parle aussi pour lui. Se définit. La nudité de l'être. Rien d'autre. Ni ceci, ni cela. Faites le lien métaphysique avec son torse dénudé sur scène. Pas Gimmick Danger. Sachez opérer la différence. Gimme Danger. S'exposer, tel qu'en soi-même. Crier par toutes les pores de sa peau, danser jusqu'à ce que le sang sacrificiel coule. Rien à voir avec une vision christique. Mais oui pour le sang du poulet que l'on égorge dans les cérémonies vaudou. Le rock est une corrida, mais c'est le taureau qui simule et signe – toute l'ambiguïté rock en ces trois mots - sa propre mise à mort. Car l'on ne peut faire confiance à personne d'autre que soi.
En attendant courez voir ce film avant qu'il ne disparaisse des écrans. De temps en temps, l'on a le bonheur d'apercevoir Iggy et les Stooges sur scène. Nettement insuffisant, mais déjà beaucoup.
Damie Chad.
Mad King Mud
Quand on voit Freddy J IV s’installer sur son siège de batteur et tester les cordes de ses trois guitares, c’est tout le Wild West qu’on voit s’asseoir. Avec son visage taillé à la serpe, son regard clair, l’indescriptible fouillis de ses cheveux et de sa barbe jaunâtre, sa mauvaise casquette usée par les ans, sa chemise de bûcheron ouverte sur un T-shirt innommable et le confort un peu lâche d’un jean trop lavé dans les rivières, il semble venir d’un campement de mineurs, mais pas ceux que vous voyez à la télé dans des reportages, pas ceux du bassin et de la salle des pendus, non, pas du tout, celui-là sort tout droit de l’un de ces campements de mineurs de cuivre incrustés comme des chancres au flanc d’un mont des Appalaches, au siècle d’avant le siècle dernier, dans les années 1850.
L’homme s’accorde d’une main fébrile, avec de gros gestes brusques, il grommelle des choses inintelligibles, il renifle et se racle la gorge, crache derrière l’ampli, s’essuie le nez du revers de la manche, il se prépare à jouer exactement comme s’il se préparait à affronter une bande de rôdeurs repérée dans les bois juste en dessous du camp, il sait que la vie ne tient qu’à un fil et qu’il n’a pas le droit à l’erreur, ces racailles vont attaquer le campement dans la nuit pour s’emparer des armes et des chevaux, alors il se prépare, il souffle comme un cheval de bât, il fourbit ses guitares comme s’il chargeait ses sept cartouches dans le magasin de son fusil Spencer. Oui, c’est vraiment l’impression qu’il donne. Il ramasse ses médiators et ses bottle-necks éparpillés au sol pour les ranger dans une petite boîte, exactement comme s’il ramassait les cartouches jetées à terre après avoir chargé le magasin de son précieux fusil. On voit aux grosses veines qui sillonnent ses mains qu’il est sous tension maximale.
Il parle tout seul, le regard vissé sur le manche de sa guitare, une SG Gibson grise un peu crasseuse. Il attend que les autres soient prêts. Van Campbell s’installe derrière les fûts. Comme Freddy, Van n’a pas d’âge. Il porte le cheveu court et un T-shirt déclassé. Il semble beaucoup moins tendu, mais peut-être cherche-t-il à donner le change. Un jeune type trop bien habillé et extrêmement chevelu les rejoint avec une Fender bass en bandouilière. Soudain, Freddy pousse un hurlement et met en route une véritable machine infernale. Yehh ouuuhhh !
Eh oui, ce mec est un phénomène unique au monde. Il est probablement aujourd’hui blasteur le plus sauvage d’Amérique. Il joue tout en accords ouverts et crée par moments d’extraordinaires phases de tension sonique sur un accord complètement inconnu, et il gueule, il faut voir comme il gueule, il gueule tout ce qu’il peut gueuler, il gueule avec l’énergie de la sauvagerie poussée à un degré qu’on ne connaissait pas. Il gueule tellement qu’on craint pour sa voix, mais non, il hurle dans l’œil du typhon, il explose les limites du guttural, il charge à la tête d’un bataillon, c’est un diable magnifique, complètement possédé, atrocement pur. Il réinvente ce trash-punk-blues qu’on croyait éculé par trop d’excès, par tous ces Immortal Lee County Killers et tous ces Big Foot Chesters, et il va même jusqu’à transcender le trash du blues jusqu’au trognon. Il développe une énergie qui dépasse tout ce qu’on sait de l’énergie, c’est l’homme des bois qui tâte du trash, il tape ses cuts comme il tape la hache dans le tronc, il le fait avec une violence inouïe, avec un mépris absolu de toutes les lois de la physique, il se bat avec le rock comme s’il se battait avec les éléments, c’est eux ou moi, pas de discussion possible, tu veux jouer, gamin, alors écoute ça ! Et il envoie sa reprise du «Keep It Out Of Sight» de Doctor Feelgood, il recrée comme par magie tout le monde de Wilco sur son manche, mais de façon totalement bestiale, avec un son qui tourbillonne. Son bras droit dégouline de sueur, le tablier de sa SG ruisselle, vous n’avez pas idée de cette démesure, la violence jaillit de partout en lui, pas seulement de sa gorge en feu, c’est tout son corps ramassé sur le tabouret qui dégage de la fumée et de la chaleur humide, et il gratte ses cordes d’une main repliée alors que les doigts de sa main gauche dansent sur le manche un ballet incroyablement rudimentaire. Les veines de ses mains sont tellement gonflées qu’on s’attend à les voir exploser.
Entre chaque cut, il fait le con, comme s’il était ivre de carnage, il roule des yeux et lance des motherfuckers d’une voix tellement sourde qu’on le croit devenu aphone, il se frappe la poitrine à grand coups et lance des love you louen complètement hystériques ! Et paf, on prend dans les dents une monstrueuse version du «Goin’ Down» de Don Nix qui fait oublier celle du Jeff Beck Group pourtant donnée comme la meilleure, mais camarade, Jeff Beck a beau être Jeff Beck, Freddy explose jusqu’a son souvenir, car le Goin’ Down qui descend sur le Kalif descend tout droit des enfers, oui, les enfers qu’on préfère, la maison-mère du trash et du sel de la vie. C’est exactement ce que Freddy répand autour de lui : le sel de la vie.
Si vous n’avez pas la chance de voir ce mec jouer sur scène, l’album de King Mud vous tend les bras. Car quel album ! Même si on connaît tout ce que Freddy fait avec Left Lane Cruiser, écouter cet album relève du devoir pour tout amateur de trash-blues un peu élaboré. On retrouve sur Victory Motel Sessions la fameuse reprise de «Keep It Out Of Sight». Freddy fait bien gicler le riff de Wilco et ça coule droit dans l’oreille. Il fait une autre reprise de choc avec ce vieux standard des Them qui s’appelait «I Can Only Give You Everything». Là, nous ne sommes plus à Belfast, mais dans un endroit dix mille fois plus sauvage, quelque part dans l’Indiana. Freddy et Van sont sur le beat, comme le beletman sur la belette, et ce qu’on entend, en réalité, ce n’est pas la reprise d’un vieux standard garage, mais le pas cadencé des éléphants de Scipion l’Africain au passage d’un col des Alpes. C’est d’une puissance barbare complètement dévastatrice, c’est atrocement bien battu, ils jouent ça au binaire de la jugulaire. Si ces mecs-là commencent à taper dans le garage, on sent que beaucoup de groupes vont devoir prendre une retraite anticipée, car enfin, qui oserait se présenter sur scène à la suite de tels démons ? On trouve aussi sur cet album un clin d’œil aux Stones, un truc qui une fois de plus laisse coi, «Take A Look», un peu pop, c’est vrai, mais tellement ambitieux au plan composital qu’on s’en effare. On voit bien que Freddy l’anti-héros aspire à d’autres horizons ! Encore un violent coup de Jarnac avec «War Dancing» ! Eh oui, voilà que ces messieurs décident tout simplement de sonner comme Motörhead. Oh pour eux, c’est un jeu d’enfant. Les Appalaches en 1850, c’est quand même autre chose que Londres en 1980, tout le monde le sait bien. Il faut entendre le numéro que fait Van Campbell derrière ses fûts ! Il sonne exactement comme ce fou de Mickkey Dee et bien sûr, Freddy joue sous le boisseau, exactement comme Phil Campbell. Si on a encore besoin d’être impressionné, dans la vie, il faut écouter ça. Tout aussi spectaculaire, voilà «But Time», le cut d’ouverture, joué au riffing compulsif. On y note l’excellence d’un beat démoniaque. Van the man ne plaisante pas, on l’a compris quand on le voit jouer sur scène. Sur disque, c’est exactement la même chose : une fournaise, une vraie pétaudière à deux pattes. Quant à Freddy, il n’en finit plus de faire rôtir ses notes en enfer. Il reste bien sûr ancré dans le blues, mais il va parfois tenter l’aventure d’un riff gras et commettre le péché d’orgueil en visant l’ambition salutaire. Oh, ce n’est pas si grave, cette nuit, sous sa petite tente, Freddy sortira sa vieille bible de son havresac et il marmonnera une prière pour laver ses péchés, mais d’une voix sourde, pour ne pas troubler son ami Van, allongé à côté et plongé dans ses pensées.
Signé : Cazengler, le riki-King
King Mud. Le Kalif. Rouen (76). 9 février 2017
King Mud. Victory Motel Sessions. Alive Naturalsounds Records 2016
11 – 02 – 2017 / BRUNOY ( 91 )
LE COMMERCE
FOBY
Voudrais pas jouer le pépère la morale mais n'écoutez pas vos amis, surtout s'ils ont un plan B à vous proposer pour le week end, ne cédez pas à la tentation, tirez-leur une balle dans la tête, et passez à autre chose sans remords. Vous ignorez à quelles turpitudes vous vous exposez. Je parle en connaissance de cause, Mister B, mon spécialiste guitare, qui a un collègue de boulot, qui comme par hasard leade la guitare dans un groupe de rock, qui donne un concert pas très loin, à Brunoy. Le lecteur intelligent sent se profiler la suite de l'aventure. Sur le papier, c'est très jouable, et nous voici partis en toute innocence pour une soirée de folie, à vous filer la phobie du rock'n'roll jusqu'à la fin de votre vie. Ou alors à conforter votre immodérée appétence pour cette forme de musicale de jouissance sauvage. Disons que cela dépend de votre native postulation envers l'aspect dionysiaque de votre existence. Dans ce deuxième cas, vous remerciez votre ami.
Brunoy, une ville labyrinthe, d'ailleurs dès que l'on aborde les premières ruelles, le GPS se bloque et refuse de nous guider. Pas de panique, la teuf-teuf suit son instinct et nous dégote une place de stationnement en trois minutes. Ne reste plus qu'à poursuivre à pied. Non, le jeune couple auprès duquel nous nous enquerrons de la localisation de la rue idoine ne connaît pas, mais dès que nous précisons le café, Le Commerce, les visages s'éclairent – signe prémonitoire auquel stupidement nous ne prêtons aucune attention – tout simple, juste à côté de la banque. Et en effet, deux minutes plus tard, voici la banque, et juste à côté Le Commerce.
LE COMMERCE
Pour que vous compreniez bien la suite des festivités, vous avez besoin d'un rapide croquis. A droite le comptoir, à gauche Foby qui peaufine la balance, au milieu un étroit passage, au jugé, un espace de six mètres carrés qui permet d'accéder au reste de la salle. Dans un renfoncement à droite les pizzaioli s'activent méchant, à gauche des tables serrées comme une phalange macédonienne, squattées par des mangeurs de pizza, au fond un goulet d'étranglement qui mène à une salle de restauration à laquelle nous n'accèderons jamais. Ce doit être un peu comme l'entrée du paradis, beaucoup de monde et peu d'élus, une queue d'une trentaine de personnes attendent patiemment. L'en rentrent des fournées d'autres, qui repartent déçues l'oreille basse et la mine contrite, et d'autres tout guillerettes qui prennent un verre et leur mal en patience tout en formant un agglutineux bouchon devant le comptoir... bref quand une heure plus tard Foby entame les hostilités, vous avez plus de quatre-vingt impétrants qui forment une masse compacte et néanmoins ultra-mouvante, sur les six mètres carrés qui séparent le groupe du comptoir.
Mais ce n'est pas tout. A l'image du couloir rhodanien, vous avez l'autoroute qui passe au milieu. Surchargée. Une file ininterrompue qui entre et une autre tout aussi ininterrompue qui sort, plus une troisième qui entre et qui sort sans arrêt. Du monde dehors sur le trottoir qui fume, boit, rit, discute, parle fort, une foule dedans, qui rit, qui boit, qui hurle, qui invective, qui gigote, qui acclame. Ambiance explosive, à la merci du moindre carambolage. Heureusement les pompiers sont là. Une sympathique escouade d'intervention de joyeux drilles remuants, assiège le comptoir et écluse les barils de bière, se démènent comme des fous, supportent à mort les musiciens, incitent les messieurs à pogoter, et s'empressent auprès des demoiselles à qui cet aspect de franchise virile ne semble point déplaire.
FOBY
Ne les oublions pas. Sont les principaux fautifs, les coupables initiateurs, les responsables patentés, de ce cette démence fobique, de cette folie douce, qui s'emparera de l'assistance tout au long de la soirée. Réservons-leur davantage de place qui ne leur fut octroyée par l'exiguïté et le surpeuplement des lieux. Au fond scotché contre le mur, le brave des braves, Rocco le rouge, chevelure corbeau et T-shirt Dakota écarlate, martèle les tambours de guerre. Infatigable, une machine que rien n'arrêtera, pas un seul signe d'essoufflement, pas une once de ralentissement, un jeu perpétuel entre caisse claire, charleston et cymbales, une phénoménale éructation glapissante qui d'emblée oblige ses camarades à se mettre au diapason de cet incessant tempo foutraque.
Devant lui la ligne mouvante de ses acolytes pratiquement entremêlée à la première rangée des spectateurs. A gauche Robby, guitare rythmique, anneaux aux oreilles, dégaine mods, un air à la Pete Townshend, un qui n'est pas né de la dernière pluie, l'aura un dur travail à effectuer toute la soirée, veiller à ce que subsiste au milieu du tumulte qui ne cessera de croître, à ce que la structure métronimique des morceaux ne soit jamais perdue, ou du moins sans cesse retrouvée. A gauche Thierry, cheveux blonds et doigts agiles, coincé à tel point contre son Marshall qu'il n'entend d'autre son que celui de sa guitare, devra sans arrêt à la demande générale hausser le potentiomètre de sa lead afin que l'on goutât pleinement ses subtils déliés et ses acrobaties sans balancier sur cordes électrifiées, à sa droite Mathieu, collier de barbe et basse tonitruante grooveuse à souhait, émétrice d'ondes grasses et glousseuses comme les chapons du Gers.
Enfin, the last but not le dernier de la liste, Fred, tient l'orchestre et le public dans sa voix. Peuvent taper dans n'importe quel recoin du répertoire, il assure le liant, tout passe et rien ne casse grâce à ce granit inusable, sans faille, qui s'accapare et recrache les morceaux de tous les genres et de tous les styles. C'est lui qui unifie la set-list. Que des reprises, de Jacque Dutronc ( revu et corrigé par les Rats ) à David Bowie en passant par James Brown. Le panel est large. Perso, je les induirais à fomenter leurs propres compos, afin de dégager un style qui leur appartienne car ils possèdent toutes les qualités requises pour nous traficoter ces cartes biseautées qui permettent de remporter toutes les parties. Mais Foby a choisi de miser sur l'énergie. Et il faut l'avouer qu'ils ne l'accumulent pas en avare, la distribuent généreusement, la laissent couler comme une source torrentueuse et kaotique inépuisable.
Le premier set reste dans les limites de l'acceptable humain. A fond la caisse et les anges sur le capot qui évitent les sorties de route. Ne chôment pas, mais on veille au bar, sont incessamment ravitaillés en plein vol de longs bocks plastifiés de bière maison, au goût prononcé de revenez-y selon les nombreux amateurs de l'assistance. Juste un arrêt plateau premier secours, pour les one shots réglementaires, un peu comme cet éther que l'on versait et dans les temps lointains et dans les réservoirs des solex afin de surmultiplier leur vitesse de croisière. Coupure de vingt minutes, et l'on change de dimension. Tout début du second set, Max est demandé, le voici qui arrive vivement supporté par le choeur des pompiers qui psalmodient un max, se saisit d'une guitare grand V agressif de Violente Victoire Vindicative et tel Zeus lançant l'éclair il tonnerrifie et torréfie l'assistance d'un grondement continuel auquel Thierry se hâte d'ajouter quelques éblouissances d'éclair de foudre, un petit Motörhead à réveiller les mânes de Lemmy, immédiatement suivi de ce qui n'aurait jamais dû advenir, un Antisocial, la version la moins antisociale que j'aie jamais entendue, celle qui donne dans le consensus, pas le mou, l'autre, le dur, l'impitoyable. Jusqu'à lors, l'on était serrés comme des macaques dans une caque à harengs mais des renforts inopinés surgissent de toutes part, le morceau truste les âmes de bonne volonté, une invasion de fourmis, de dehors, du dedans, de tout sexe et de tout âge, des grands-mères qui se sentent une âme de cougar déchaînée, des intellectuels à lunettes qui pointent une barbichette éméchée, des jeunes filles en fleurs qui fendent l'indescriptible cohue, se collent à vous et vous éperonnent de leurs seins turgescents, des amatrices quinquagénaires qui dégainent des tablettes aussi larges que des postes de télévision, des célibataires en rut qui paluchent à toutes mains des corps féminins fort accueillants, des jeunes, des vieux, des gros, des maigres, et au-milieu de tout ce salmigondis humain l'orphéon des pompiers qui attisent de leurs voix de stentor le feu héraclitéen de la destruction. Le Lenny Kravitz qui suit n'apaisera pas la transe collective, confortera cette osmose entrecroisante des individus délivrés de toute inhibition. Survient un moment où l'on ne sait plus où sont les musiciens et où sont les spectateurs. Ne cherchez pas Fred le chanteur, vous l'entendez mais il est à genoux essayant de récupérer son classeur à paroles, - à la fin de la soirée sera devenu une informe pâte à papier imbibée de bière – mais les sapeurs n'oublient pas leur devoir d'assistance à personne en danger, se saisissent de lui et le hissent à bout de bras, voudraient bien le promener un peu partout, mais la foule est si dense qu'à part un mouvement d'avancées et de reculs de cinquante centimètres la manoeuvre se révèle impossible, jamais à cours d'expédients nos sauveteurs brevetés vous le basculent et vous le rejettent fort professionnellement sur l'entremêlement des pieds de micro, des câbles électriques et des pédales wha-wha qui du coup miaulent désespérément tel un crotale dont vous avez par un sadique plaisir écrasé la queue, traitement de faveur qui a l'air de totalement satisfaire notre cantaor qui durant toute la séquence mouvementée n'a cessé de vociférer dans son micro. Un Jacques Brel à faire bouffer des bretzel à vos bretelles, un Heroes à vous précipiter sur le champ de tir, un début de Whole Lotta Love abandonné on ne sait trop pourquoi, mais tout le monde s'en moque, l'on est en train d'osciller entre l'orgie néronienne et l'ardence sardanapalienne, les Foby en folie ne sont guère phobiques, suscitent plutôt l'attirance universelle des corps et des esprits. Finissent sur des grooves plus modernes sous les clameurs, les accolades et les embrassades. Z'ont tout donné, z'avons tout pris. La liesse ne fut pas tenue en laisse... Innocence de la perversion ou perversion de l'innocence ? s'inquièteront les moralistes. Je vous laisse méditer. Je ne voudrais pas influencer votre jugement. Ce qui est sûr : une soirée de Foby douce, une nuitée rock'n'roll. Si vous avez mieux à proposer, téléphonez-moi.
Damie Chad.
( Les photos ne correspondent pas au concert )
CLIP ! CLIP ! CLIP ! HOURAH !
TOUGH LOVE / HOWLIN'JAWS
-Toc ! Toc !
Etonnez-vous que le monde courre à sa perte ! Pas moyen d'avoir cinq minutes de tranquillité ! Même dans la prestigieuse Université de Berkeley ! Les étudiants ont toujours quelque chose à demander ! J'ai pas compris ceci ! J'ai pas compris cela ! Me reste encore à terminer deux cents pages de mon bouquin à paraître sur Sid Vicious et la Pensée Platonicienne, un ouvrage qui va révolutionner la critique rock et qui me vaudra à coup sûr le Nobel de littérature !
- Au secours ! Au secours !
Splank ! La porte qui s'ouvre ! N'a pas froid aux yeux la donzelle ! Regardez-moi, ce sourire canaille et ses dents de jeune louve qui ne demandent qu'à mordre !
- Au secours ! Au secours ! Monsieur le professeur !
Et pas gênée avec cela ! Elle vient s'asseoir sur mes genoux ! Et ce sourire... comment dire... engageant... complice même... voire coquin...
- Madnoiselle, je devine que vous êtes en situation de détresse avancée, rassurez-vous, je suis là ! Expliquez-moi votre situation, je ferai tout mon possible !
- Monsieur le Professeur, vous êtes le seul homme sur cette terre qui puissiez m'aider, je vous en supplie, ne me laissez pas dans l'adversité ! Ne me refusez pas votre aide ! Je vous en serai reconnaissante jusqu'à la fin de ma vie ! Vous pourrez me demander tout ce que vous voudrez ! Vous êtes mon sauveur !
- 'Noiselle, venons-en au fait ! Je ne peux rien entreprendre si vous ne me donnez point au moins quelques indices !
- Oh, oui Monsieur le Professeur, je sens en vous l'homme d'action et de conseil qui me manque ! Voilà, c'est au sujet de l'exercice de TP ! Chaque étudiant doit présenter un clip de moins de cinq minutes sur un morceau de son choix ! J'ai choisi de reprendre le tube de Patti Labelle, Lady Marmelade, vous savez là où elle chante en français : « Voulez-vous coucher avec moi ce soir ? »
- Oui !
- Oh ! Monsieur le Professeur, vous êtes un homme de décision rapide ! Et doté d'un humour irrésistible ! Mais avant il faut que je vous explique. J'ai enregistré la chanson, j'ai rédigé le scénario du clip, mais l'Armée Américaine ne veut pas ! J'avais imaginé un porte-avions, le ciel, un avion qui tourne autour et puis surprise, un lâcher de trois éléphants en parachute ! Veulent bien me prêter le porte-avions mais ils n'ont pas d'éléphants. L'Amiral m'a dit qu'il était prêt à se couper en quatre pour moi, et il a proposé de larguer ses trois chihuahuas personnels à la place ! Mais moi j'avais prévu que la trompe des pachydermes viendrait se glisser sous ma mini-jupe chaque fois que j'aborderai le refrain « Voulez-vous coucher avec moi ce soir ? » et le plan final ultra-romantique, sur le fond bleu du ciel, je repars en avion et le plus beau des éléphants me fait un signe d'adieu en agitant au bout de sa trompe ma culotte rose toute mouillée, bref tout a foiré, et je viens vous demander conseil !
- Restez bien collée à moi 'Noiselette, nous allons débrouiller la situation, je sens que c'est urgent. Ce sera vite fait. Le temps de regarder deux vidéos. La première, je l'intitulerai « Ce qu'il ne faut pas faire » . Si vous le permettez, je commente.
- Oh ! Oui Monsieur le professeur, vous avez un vocal organe si envoûtant !
- Je résume votre problème. Une belle idée de clip mais pas les moyens financiers de le réaliser. Mais comment réussir tout de même à faire le buzz sur le net ? Avec les trois pauvres bouts de ficelle de la débrouille personnelle ! Voici donc l'exemple déplorable à ne pas suivre. You Tube, Sleepwalkin, Howlin' Jaws, l'un des meilleurs groupes français du moment. Admirez le manque d'imagination, ils ont photographié la pochette – fond jaune et eux trois devant - de leur premier single, et c'est parti pour un plan fixe de deux minutes cinquante huit secondes. Pour les oreilles c'est parfait, mais question image, c'est Waterloo morne plaine, une véritable invitation au suicide !
-Tout à fait d'accord avec vous, Damie, vous permettez que je vous appelle par votre petit nom mon chéri, sont comme ces garçons qui parlent beaucoup, qui laissent espérer, et qui au moment venu n'agissent pas. N'y a rien de plus déprimant ! Ne sont pas comme vous, ont oublié que la vie sourit aux audacieux, mon chou !
- Oh baby, je vois que vous comprenez vite ! Passons maintenant à Ce qu'il faut faire. Trois bouts de ficelle encore, mais un maximum d'imagination ! You Tube, Tough Love, Howlin' Jaws, exactement le même groupe ! Un des meilleurs, je me répète.
- Damie ! Je ne comprends pas ! C'est le même plan, la pochette du disque – fond bleu et eux trois devant - et leur air bébête, des garçons qui gardent leurs mains dans leurs poches, je croyais que ça n'existait pas, heureusement que vous n'êtes pas comme cela Damie ! Oh regardez, il y en a un qui bouge ! Et le deuxième sort une cigarette de sa poche, il fume, et l'autre qui mord dans une chocolatine. Tiens il part ! Oh, il revient avec sa guitare. Oh, un micro et le grand devant qui chante et la batterie qui passe à toute vitesse dans le fond ! On se croirait dans un dessin animé ! M'a fait un signe, le brun ! Et sa grosse contrebasse qui prend toute la place ! Et le blond qui gratte le dos de sa guitare, il exagère ! Le batteur qui se lève pour claquer ses baguettes comme une gueule de crocodile, celui-là on dirait qu'il fait du skate ! C'est fini ! c'est trop injuste ! Ne reste plus que le fond bleu du disque ! Non, ils reviennent et ils bombent le titre du morceau ! Quel style, et ces casquettes à hélice ! Génial ! Génialissime ! On ne s'ennuie pas une seconde. Des garçons que l'on pressent entreprenants rien qu'à les regarder bouger. Et si rock !
- Oh baby, je sens que la leçon est comprise !
- Je suis toute émoustillée, avec trois bouts de ficelles, et leur agitation de spermatozoïdes affolés ! J'ai tout compris. J'vous fais une bise Monsieur le Professeur ! Vraiment le meilleur enseignant que je n'ai jamais eu. Quelle leçon ! En moins de dix minutes ! Désolée pour ce soir, je suis sûre que vous comprenez, mais franchement auprès des Howlin' Jaws, vous n'êtes pas de taille à lutter ! je file à l'aéroport, faut que je trouve un avion pour Paris au plus vite ! N'ai plus qu'un problème à régler, quel est celui qui agitera ma culotte à la fin de mon clip ! Plus besoin d'éléphants puisque j'ai les Howlin' Jaws !
Damie Chad.
Epilogrr ! L'amour c'est souvent dur !
Love is tough !
*
Trouvé par hasard en farfouillant le bac à soldes de la Fnac. Ristourne de quatre-vingt pour cent. A ce niveau-là la moindre des élégances consisterait à l'offrir gratuitement aux amateurs. Mais la loi du commerce est sans appel. Il n'y a pas de petits bénéfices, un euro est un euro. Pas de pitié pour le canard boiteux de la poésie. Pas de chance, en plus celui-ci, il boite des deux pattes. L'est sorti en janvier 2015 et la maison d'édition a été placée en liquidation judiciaire en 2015. Bien fait pour elle, depuis Marseille, elle s'obstinait à maintenir des collections de poésie coréenne, marocaine, roumaine et autres nations tout aussi incertaines. L'aurait été trop cher de l'envoyer au pilon. En plus, ce genre d'ouvrage ne s'inscrit pas dans la politique de l'entreprise. Rayon littérature en peau de chagrin. Organisation de l'inculture généralisée.
Le titre m'a attiré. Mais le nom de l'auteur encore plus. Avais reçu dans les années quatre-vingt un tapuscrit de sa part, qui relatait un voyage en Grèce. Très bien. Donc j'ai pris. L'a fait son chemin depuis, l'est devenu médecin, enseignant, journaliste, l'a rédigé une pléthore de livres sur la santé – genre de bouquins que je ne regarde jamais pour ne pas me découvrir atteint de maladies dont j'ignorais jusqu'à l'existence – et d'autres sur la future indépendance de la Corse, bon sang ne saurait mentir.
CROQUIS ROCK & ROLL
ANGE-MATHIEU MEZZADRI
Autres Temps Editions / Janvier 2015
Couverture un peu spartiate. Blanche mais qui permet au titre de se détacher. Croquis en petit et Rock'n'roll en très gros. On ne triche pas sur l'annonce de la marchandise. Pour les lecteurs distraits, on a rajouté Poésie Rock en-dessous. A peine tournez-vous la page de garde que vous êtes averti, vaudrait mieux lire avec les oreilles, les frères Mezzadri ont enregistré une version studio avec guitare, basse, harmonica et percussions.
Acte 1 : la démesure de Led Zeppelin et le chamanisme de Jim Morrison. La griffe du Lizard King indubitable. Le royaume et les Seigneurs. Mais une catastrophe que le chanteur des Doors n'a pas connue est survenue. Les temps de la fascination sont révolus. Les envahisseurs ont remporté la partie. Les débris de l'empire sont aux mains des esclaves. Les marchands ont raflé la mise. Ne reste plus que le rêve dévasté des grandeurs passées. Ici l'on abat les enfants comme l'on musèle les songes. La révolte éclate comme une outre de sang, intérieure dans les cerveaux, extérieure dans la réalité brisée du monde. Rien n'est sûr sauf l'assurance qu'une plus grande violence sera nécessaire pour ouvrir le cycle des innocentes cruautés.
Acte 2 : en hommage à Patti Smith. En tant que poétesse des détresses. Le poëte déserte le rêve afin d'entrer de plein fouet dans la laideur du monde. Tout se vend, le sexe et les impressions. Les mots de la poésie sont des prostitués. Ne procurent plus de plaisir. Seulement du dégoût de soi-même. Les deux sonnets croisés au cours de la lecture étaient signe d'égide baudelairienne. Détours insidieux par les frères humains. Aussi décevants que nous-mêmes. Comment croire à une échappatoire collective. Il vaudrait mieux saigner tous nos semblables, comme des gorets. Le rock est mort. L'infatuation de nous-mêmes aussi. Le rêve du retour des dieux s'altère en cauchemar de hordes barbares. Orgies de sangs et blêmitudes de spermes. L'on ne s'échappe pas plus du labyrinthe êtral que des rues géographiques de la Modernité.
Acte 3 : Le pire est pour la fin. Un squelette de vers reptatifs de quelques syllabes collés au bord des pages. Une prodigieuse ritournelle du malheur. Une violence qui n'est pas s'en rappeler la force des alexandrins d'airain d'un Leconte de Lisle. Les romains ont dilapidé le temple. Le Dieu perdu est encore là mais pour combien de temps ? Ne subsiste plus rien des grands idéaux ni des barreaux de fer. La liberté est un désert de glace en bout duquel triomphe la mort. Notre seul héritage. Vous pouvez appeler cela l'espoir qui fait vivre.
Une poésie qui ne triche pas avec son titre. Porteuse de la violence du rock'n'roll. De tous les recueils de poésie rock qui m'est arrivé de lire en langue française, c'est bien le plus fort, le plus violent. Un monde impitoyable à l'image des stances électriques et diluviennes du Blue Öyster Cult. Enté sur les Doors oui, mais qui retrouve aussi les orgues tempétueuses de la grande lyrique du dix-neuvième siècle ce qui lui évite de se perdre dans les eaux désséchées des facilités de ce surréalisme de bas-étage qui est la tarte à la crème de la poésie contemporaine. Ange-Mathieu Mezzadri entrechoque les os des mots. Leur a arraché la chair juteuse et parfumée qui les habillait. L'en devient pratiquement poétiquement incorrect. Trop de violences, trop de brutalités, trop de fureurs. Pour nos contemporains. Peuple d'ilotes sans autres maîtres qu'eux-mêmes. Poésie sans rémission.
Damie Chad.
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